LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’arithmétique terrible de la misère" - Catherine Dufour

"Et regarde le collier ! C'est un clito. En bronze.
- Pourquoi un clito ?
- Innovation ménagère du XXe siècle.
- Et... comment ça, innovation du XXe siècle ?
- Découverte du XXI siècle, si tu préfères. Les organes qui ne sont jamais malades, pourquoi veux-tu les étudier ?
- A un moment, un truc qu'on a le nez dessus depuis cent mille ans..."

Futuristes, les nouvelles du recueil de Catherine Dufour ?

Dans l’univers qui leur sert de contexte, le capitalisme -profit et rentabilité à court terme- règne en maître aux dépens de du bien-être et de la sécurité des populations, les villes occidentales voient s’affronter la misère de citoyens victimes d’une précarité grandissante à celle de migrants fuyant des territoires devenus inhabitables pendant que les services publics s'en déresponsabilisent en se renvoyant mutuellement la balle, les traces que laissent nos navigations sur internet sont exploitées à des fins commerciales, les relations virtuelles ont supplanté dans bien des domaines les interactions physiques avec autrui…

Vous l’aurez compris : certes, on y trouve des gamelles à chat intelligentes recyclant les déchets, le lac Léman y a verdi par manque d’oxygénation, les véhicules autonomes y sont devenus monnaie courante et l’art s’y pratique jusque sur la Lune, mais c’est un univers sinon complètement crédible, et surtout effroyablement ressemblant au nôtre, ou du moins à ce qu’il est en train de devenir. Et ça fait froid dans le dos…

Etes-vous prêt à louer vos organes ou à faire la table basse pour (à peine) boucler vos fins de mois ? A voir la surface de votre appartement rétrécir à mesure que votre capacité à payer votre loyer s’amenuise ? A procréer dans le seul but d’accéder, grâce aux organes de votre progéniture, à une deuxième jeunesse ?

Les personnages de Catherine Dufour le sont, parce qu’ils n’ont pas le choix, ou parce qu’ils vivent dans l’air de ce temps d’ultra-technologie, d’injustices sociales poussées jusqu’à l’absurdité et de dérèglement climatique. Clones, avatars ou puces porteuses de réalités virtuelles implantées sous la peau font partie de leur quotidien. Pour autant, ces héros nous ressemblent, et nous sont souvent proches, le regard humaniste que leur porte l’auteure révélant la détresse et la solitude que génèrent la déshumanisation, la superficialité et la cruauté de ce monde en perte de sens.

C’est avec lucidité mais aussi beaucoup d’humour -même si c’est jaune, que l’on rit- que Catherine Dufour lance ce que l’on peut considérer comme un cri d’alerte face aux aberrations et à la violence d’un système qui nous mène à notre perte. Sa plume claque, cingle et virevolte, déploie une énergie et une inventivité qui font de certains de ses textes des curiosités stylistiques, et j’ai grandement apprécié cette lecture.

Deux nouvelles différentes, placées en appendice, complètent le volume, dont je n’ai pas, à vrai dire, bien compris l’intérêt, d’autant plus qu’elles amoindrissent la cohérence de l’ensemble. La première dépeint la carrière de "serial fucker" d’Alfred de Musset et la seconde est une sorte de d’American Psycho inversé, "fiction misandre" selon les propres termes de l’auteure, dans laquelle le rôle de Patrick Bateman est tenu par une femme.


Commentaires

  1. J'ai toujours eu du mal avec l'humour de Catherine Dufour... et j'étais bien la seule au temps où j'étais jurée GPI : elle ne me fait pas rire.

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    1. Je ne sais pas ce qui t'a précisément gênée mais j'avoue que les deux dernières nouvelles (celles de l'appendice, qui tranchent avec le reste du recueil par leur thématique), sans doute censées être drôles, m'ont surtout paru vaines et un peu grossières (pas dans le ton, mais dans le traitement). Sinon, j'ai apprécié l'humour (noir) du reste..

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  2. Oui, ça fait froid dans le dos, dis donc, et c'est presque aujourd'hui ... y compris les gamelles pour chats (il y a des marques qui permettent de programmer à distance, via son portable, avec une appli, le nombre de croquettes et l'heure de distribution). Bon, je ne suis pas focalisée sur ce problème, contrairement aux apparences ! Plus sérieusement, il y a beaucoup de sujets intéressants abordés dans cet ouvrage. Merci pour cette proposition originale que j'ajoute immédiatement à la liste de nos Bonnes nouvelles.

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    1. Oui, on est finalement assez peu dépaysé, puisque si certaines innovations techniques y font leur apparition (ou plutôt s'y développent d'ailleurs, car la plupart ne sont pas des innovations, elles existent déjà), le contexte social, économique, est très proche de ce que l'on connait déjà, et puis le mal-être des personnages à vivre dans ce monde déshumanisé et inique a quelque chose de familier...

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  3. Hoho hola, Catherine Dufour, j'avais lu Le gout de l'immortalité et c'était vraiment prodigieux (je te conseille). Donc là je vais noter, forcément ^_^

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  4. Bon, désolée, mais je ne suis pas trop tentée... ;-)

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  5. En commençant la lecture de ta note, je me suis dit "Ha là là, pas pour moi, le futurisme" , la critique du capitalisme trop appuyée ... , mais finalement, tu parles de curiosités stylistiques et là, ça me démange de les découvrir !

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    1. Ce n'est pas pour rien qu'il est préfacé par Damasio, on sent la même volonté de bousculer le langage, de le réinventer pour le faire coller au propos (en moins bien quand même, hein, parce que Damasio, bon...). Toutes les nouvelles ne sont pas aussi inventives, mais certaines sont vraiment savoureuses, rien que par leur rythme et leur ton (même si parfois, je ne comprenais pas tout).

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  6. Ah mais oui, Catherine Dufour ! Je garde un très bon souvenir de Blanche-Neige et les lance-missiles, le seul livre que j'ai lu d'elle il y a un bail. Surtout de son humour. Il faudrait que je revienne à elle !

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    1. Cette auteure m'était complètement inconnue jusqu'à ce que je repère ce titre chez La Barmaid aux lettres, mais je vois qu'elle a déjà fait un peu de chemin chez certaines d'entre vous, je note donc aussi "Blanche-Neige..." (rien que le titre...).

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  7. Le monde tel qu'il est aujourd'hui me fait déjà suffisamment peur pour que je n'aille pas en rajouter une couche futuriste. Je passe ..

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    1. C'est certain, c'est franchement déprimant, mais ce n'est pas complètement désespéré, elle évoque aussi des résistances, des personnages qui tentent de s'affranchir des diktats technologiques et ultra libéraux..

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  8. pas trop envie d'aller vers cette tristesse là!

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  9. Je ne connais pas cette Mme Dufour (en lisant les commentaires, je suis la seule) et je t'avoue que les premières phrases de ton billet m'ont fait fuir ! Je n'aime pas ce futurisme ou SF qui montre toujours le pire de la société à venir (ou le bon avec les avancées technologiques mais sous un discours pessimiste), bref je fuis !!! désolée ....

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  10. Je ne connais pas du tout et, je dois dire, je ne suis guère attirée... Mais c'est intéressant de montrer ainsi le monde tel qu'il est et tel qu'il peut devenir.
    Et... bonne année !

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    1. Je n'ai guère de succès avec ce titre, mais je n'en suis ni surprise ni vexée, c'est un genre et une thématique qui ne peuvent pas plaire à tous..
      Bonne année à toi aussi !

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  11. Je retrouve en effet mes sentiments à la lecture ! Quel dommage que ça n'intéresse pas tes lecteurs, c'est surprenant, frais et drôle ! Ca peut paraitre très léger et pourtant...

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    1. Merci pour le conseil, c'est un titre original, et divertissant malgré le sombre contexte...

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  12. Je l'avais repéré moi aussi chez La barmaid aux lettres. Elle en avait davantage souligné l'humour je crois, mais même avec pas mal de noirceur, je suis partante. J'aime quand la SF/les dystopies dénoncent nos travers actuels (car, je dois être honnête, je n'en suis pas exempte et quelques piques bien senties peuvent me servir d'utiles rappels à l'ordre pour une vie plus sobre et moins futile!)

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    1. Dans ce cas, il devrait te plaire. C'est sombre, mais le format "textes court" associé à l'humour et à l'originalité stylistique, font que ça passe bien : on n'est pas focalisé que sur le fond... et la SF est sans doute un des meilleurs moyens de pointer du doigt les maux d'une société...

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  13. J'étais une des rares à ne pas avoir aimé son "Au bal des absents". Alors je ne suis pas très tentée ici.

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