"Le festin" - Margaret Kennedy
"Et on connait les hommes, elle disait. Ils ne pensent qu'à une chose, pauvres femmes qu'on est. J'avais envie de lui dire, tu parles ! Si tu crois que nous les femmes on ne pense pas à la même chose ! Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? On n'a jamais dû faire la queue devant sa porte."
C’est vers la réponse à cette question que s’achemine doucement l’intrigue, qui une fois annoncée l’issue fatale, remonte d’une semaine le cours du temps. Et plus que son aboutissement, c’est au cœur même de cet acheminement que se concentre tout le sel du roman de Margaret Kennedy (même si le suspense que laisse planer l’identité des morts apporte il est vrai un petit plus à l’ensemble), car pendant les sept jours qui précèdent le drame, le lecteur se régale de la férocité avec laquelle l’auteure décrit le petit monde qui peuple la pension.
Contraints par le manque d’argent et les pénuries qui rappellent que la guerre n’est pas si loin, les Siddal ne ménagent pas leurs efforts pour rendre le séjour de leurs hôtes le plus agréable possible. Enfin, soyons honnêtes : la tenue de la pension est principalement assurée par l’infatigable mère de famille et son fils aîné Gerry, jeune homme calme et mature qui malgré un physique ingrat décourageant l’affection de ses proches, leur est fidèle et dévoué, au point de sacrifier ses propres aspirations professionnelles pour permettre à ses deux frères cadets de faire des études. Leur employée Nancibel, jeune fille à la beauté généreuse, travailleuse et droite, leur est d’une aide précieuse. Car il ne faut pas compter sur Miss Ellis, gouvernante méchante et paresseuse, affublée d’une très haute d’estime d’elle-même inversement proportionnelle au mépris dans lequel elle tient tous les autres, qui se débrouille pour se tourner les pouces tout en actionnant sa langue de vipère.
Il ne faut pas non plus compter sur Dick Siddal, le père de famille, qui vit dans un placard et entretient une procrastination pathologique au point d’en devenir risible (mais aussi un peu inquiétante).
Et il n’est pas le seul à souffrir d’un travers préjudiciable à son entourage.
Parmi les pensionnaires, on compte notamment la famille Gifford, avec une mère neurasthénique dictant ses caprices depuis le lit où elle reste clouée pendant que son insupportable progéniture fait les quatre cent coups ; un couple morose resté traumatisé par le décès d’un enfant survenu des décennies auparavant, dont chacun impute la responsabilité à l’autre ; un chanoine irascible, odieux avec tout le monde et en particulier avec sa propre fille qu’il terrorise au point qu’elle s’empêche de vivre ; les pitoyables petites Cove, gamines maigrichonnes et discrètes tyrannisées par une mère cupide…
Ces petites infortunées sont pourtant à l’origine du projet dans lequel vont s’investir certains des adultes désireux de leur faire plaisir en réalisant leur rêve : organiser un festin.
Secrets et mensonges, rivalités et relations toxiques alimentent les interactions entre tous les pensionnaires. Il plane sur l’ensemble de forts relents de malveillance et de méchanceté, que viennent contrebalancer la transformation de certains protagonistes qui révèlent alors de belles qualités, les alliances inattendues qui se créent, et comme un mouvement de résistance clandestin et inconscient qui va amener plusieurs des héros à prendre enfin leur destin en main.
L’ensemble est porté par un humour cinglant, et c’est avec un plaisir dénué de toute culpabilité que l’on se réjouit des mésaventures de certains des personnages…
Excellent.
Oh que oui excellent, je le relirais bien, ce bonbon assez acidulé.
RépondreSupprimerUn très bon moment, oui.
SupprimerTout à fait d'accord avec toi, ce roman est délicieusement féroce et je lui ai trouvé un ton très moderne, ce à quoi je ne m'attendais pas forcément vu la date de son écriture.
RépondreSupprimerOui, l'écriture est fluide, le rythme enlevé, il n'a pas pris une ride !
SupprimerMais ce banquet a tout l'air d'être un petit régal !
RépondreSupprimerEt je crois bien que tu pourrais y trouver ton compte, c'est drôle et féroce..
SupprimerJ'avais bien aimé, moi aussi, ce roman : "Il se passe tant de choses dans ce roman qu’il est impossible d’en dire plus et malgré ce qui pourrait être un grand désordre (évènements multiples, personnages nombreux) le lecteur suit cette histoire avec beaucoup d’intérêt."
RépondreSupprimerTout à fait d'accord, on ne s'ennuie pas une seconde, et malgré le foisonnement des événements et des personnages, je ne m'y suis jamais sentie perdue.
SupprimerDe quand date-t-il ?
RépondreSupprimerDe 1950 ! Mais comme évoqué ci-dessus, il n'a pas pris une ride...
SupprimerJe l'ai lu en anglais (The Feast) en 2022 et j'en garde un excellent souvenir !
RépondreSupprimerJe n'en suis pas étonnée, c'est un roman très réjouissant malgré sa férocité (ou grâce à elle).
Supprimeryes !
SupprimerJe me demande si je ne l'ai pas lu .. en tout cas c'est un genre que j'affectionne et je suis sûre d'avoir lu "la nymphe au coeur fidèle" de cette autrice.
RépondreSupprimerJe pense que tu t'en souviendrais si tu l'avais lu. Je vais creuser pour voir avec quel autre titre je peux continuer sa découverte, peut-être avec celui que tu cites..
SupprimerL'humour a l'air féroce dans ce roman. ça me plait bien !
RépondreSupprimerOui, il ne faut pas hésiter, on rit avec un peu de mauvaise conscience, mais ça fait du bien !
SupprimerIl est chez moi, mais sa lecture est retardée par des sollicitations variées mais je le lirai bien un jour.
RépondreSupprimerC'est l'assurance d'un futur excellent moment, tu as de la chance !
SupprimerUn excellent souvenir de lecture ! Je relirais volontiers cette autrice.
RépondreSupprimerCe titre semble faire l'unanimité, j'ai vu qu'un autre avait récemment été réédité, mais j'ai cru que la plupart des lecteurs, bien que l'ayant apprécié, ont tout de même préféré ce Festin..
SupprimerCa fait longtemps que j'ai envie de lire ce roman (depuis les 1er billets sur la blogo). Et il est sur ma liste de mes prochains emprunts à la médiathèque !
RépondreSupprimerQuelle chance, j'espère que tu vas te régaler autant que moi !
Supprimer