LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’audacieux monsieur Swift" - John Boyne

"J'ai connu beaucoup de putes dans ma vie (...). Mais vous, monsieur Swift, vous êtes une insulte à la profession."

On a donc là un monsieur Swift, Maurice pour les intimes, qui lorsqu’on fait sa connaissance, occupe un modeste emploi de serveur dans un restaurant berlinois. Il est jeune, et très beau, détail qu’a tôt fait de relever Erich Ackerman, écrivain allemand et sexagénaire qui vient d’obtenir avec son sixième roman un succès tardif, couronné par un prestigieux prix littéraire. Il faut aussi et surtout dire de Maurice Swift qu’il est très ambitieux. Sa vie est tournée vers deux grands objectifs : devenir un écrivain célèbre et être père. Se rapprocher d’Ackerman, dévoré de désir pour le jeune homme, est facile. Maurice lui confie d’emblée ses ambitions littéraires, et devient son assistant, le temps d’une tournée de promotion internationale. Le temps aussi d’extorquer à son mentor son secret le plus inavouable, et d’en faire une œuvre de fiction se réclamant publiquement de sa source d’inspiration. Le roman a un succès phénoménal, mais en même temps qu’il sort monsieur Swift de l’anonymat, il sonne le glas de la carrière et de la respectabilité d’Erich Ackerman.

Nous retrouvons Maurice Swift à différents moments de sa vie, en proie à ce qui l’a incité à "voler" l’histoire personnelle d’un autre pour écrire son premier roman : son incapacité à inventer des intrigues. Comme il est hors de question qu’il renonce à sa carrière littéraire, il recourt à des moyens de plus en plus discutables -et c’est un euphémisme- pour pallier son manque d’imagination.

C’est à travers les yeux de tiers que nous suivons d’abord son parcours, par épisodes que plusieurs années séparent : ceux d’Erich, sa pathétique première victime, puis de la femme qu’il a épousée, écrivaine elle aussi ; ceux enfin d’un Gore Vidal qui, vieillissant, renonce à se laisser séduire, d’autant plus qu’il ne se laisse pas abuser un seul instant -mais il est le seul- par la duplicité maligne (au sens quasi démoniaque du terme) de cet audacieux monsieur Swift.

 Vous l’aurez compris, le beau Maurice est un personnage glaçant, dominé par un égocentrisme et un opportunisme qui atteint des proportions anormalement cyniques. Manipulateur hors pair, il semble dénué de toute morale, et plus effrayant encore, de toute empathie pour autrui (en l’écrivant, je réalise que le terme qui convient le mieux pour le décrire est sans doute celui de psychopathe).

John Boyne ne souffre visiblement pas du manque d’imagination de son héros : le synopsis de son roman est alléchant, et l’intrigue habilement construite. Le problème, c’est qu’une fois passée la première partie, je n’y ai pas cru. Les techniques d’emprise qu’exerce Maurice sur ces victimes, ainsi que son intention, transparaissent de manière trop explicite pour que leur efficacité soit crédible, et le récit en perd toute tension, le lecteur ayant toujours un temps d’avance sur des rebondissements qu’il a vus venir, et qui du coup n’en sont plus. De plus, j’ai trouvé le traitement des personnages hétérogène. La belle complexité dont certains s’étoffent se heurtent à l’agaçante dimension caricaturale dont d’autres pâtissent (je pense notamment à la belle-sœur de Maurice).

J’ai donc été déçue par cette lecture dont, il est vrai, j’attendais beaucoup. Peut-être trop. Athalie ou Laurent ont par exemple été bien plus enthousiastes.


Une participation au Pavé de l'été, chez Sibylline (504 pages chez Le Livre de poche)



Commentaires

  1. Un pavé pour l challenge! De Boyne j'ai lu Les fureurs invisibles du coeur, bien fichu, ça se lit bien (de mémoire)

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  2. Tu frappes fort dès le début avec ta citation ! ça m'a bien fait rire ! J'aime bien l'humour de John Boyne que j'ai découvert à travers "Le syndrome du canal carpien". Dommage que ce roman là n'ait pas répondu à tes attentes.

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  3. Les avis très positifs que tu cites et le fait que j'avais beaucoup aimé Les fureurs invisibles du coeur m'avaient fait me précipiter sur ce roman, mais je n'ai accroché ni au personnage (normal, il n'est guère sympathique) ni à l'intrigue qui ne m'a pas intéressée... Bilan : un abandon !
    Au moins, l'auteur aborde des sujets très variés, ça n'avait vraiment rien à voir avec celui que j'avais lu.

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  4. Voilà qui est bien dommage car l'intrigue et le personnage sont alléchants. Et j'ai lu plusieurs roman de John Boyne qui m'ont bien plu. Je fais partie de ce qui aiment "Le garçon au pyjama rayé".

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  5. Dommage, je pensais le lire un jour mais en lisant ton avis, ce n'est pas une lecture pour moi.
    Je te remercie pour ta participation à mon challenge ! Bon week-end !

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  6. j'ai relu mon billet et je me souviens de ce roman, il m'avait rendu triste car il raconte la vacuité des écrivains , alors que je leur dois parmi mes plus grands plaisirs de vie

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  7. Ah, je vois que tu as été déçue... Je crois que je n'ai encore jamais lu Boyne et moi, ce sujet me fait plutôt envie alors, si je le vois à la bibli, je vais peut-être tenter le coup. Et bravo pour ton premier pavé! :-)

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  8. Je serai curieuse de savoir si Boyne s'est inspiré d'auteurs de sa connaissance ☺️. Le syndrome du canal carpien devrait davantage me plaire, je passe mon tour pour celui-ci.

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  9. @Keisha = cette déception ne m'empêchera sans doute pas de relire cet auteur, je reste justement tentée par le titre que tu cites, dont l'histoire semble très différente de celui-ci.

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  10. @Je lis je blogue = j'ai aimé son style, et notamment certaines répliques cinglantes comme celle de la citation. Ce qui m'a gênée, c'est le manque de subtilité des ficelles de l'intrigue. J'ai trouvé ce matin un autre avis qui lui reprochait la même chose : https://milleetunelecturesdemaeve.com/2021/10/24/laudacieux-monsieur-swift-john-boyne/
    Mais je retenterai peut-être tout de même de lire cet auteur..

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  11. @Kathel = le personnage est ignoble, c'est vrai, mais ce qui m'a surtout gênée, c'est qu'il est caricatural, on se demande comment les autres se laissent fourvoyer..
    Ceci dit, j'ai en effet l'impression que tous ses titres ne se ressemblent pas, et comme j'ai dans l'ensemble apprécié son écriture, je lui donnerai sans doute une autre chance.

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  12. @ Sandrine = je suis allée lire tes avis sur ceux que tu as chroniqués, et je retiens Le secret de Tristan Sadler, les autres étant des romans jeunesse si je comprends bien.

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  13. @Céline = d'autres lecteurs ont beaucoup aimé... mais sinon, l'auteur a écrit de nombreux autres titres avec lesquels tu trouveras peut-être davantage ton compte.

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  14. @ Luocine = c'est vrai que la plupart des écrivains dépeints dans le roman donnent une image peu reluisante de la profession, exception faite de la femme de Maurice, mais la pauvre finit mal... ceci dit, je ne pense pas qu'il faille étendre cette caractéristique à l'ensemble des romanciers !

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  15. @ Sibylline = tu peux tenter avec celui-là ou un autre, il a écrit plusieurs pavés, je crois...

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  16. @ Sacha = très bonne question, mais je n'espère pas, cela risquerait même d'être dangereux pour lui... je ne suis pas sûre de donner une autre chance à l'auteur avec "Le syndrome.." qui de mémoire a suscité pas mal d'avis mitigés. Je me tournerai plutôt vers Les fureurs invisibles du cœur, a priori, dont l'histoire est tentante.

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  17. oh dommage, moi qui voulais lire autre chose de l'auteur que Le Garçon au pyjama rayé... zut.

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  18. Ah zut, j'aime beaucoup Boyne et j'attendais beaucoup de ce roman en projet de lecture (un jour). Bon, je suis prévenue que je pourrais être déçue. Je le garde quand même en projet.

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  19. Ha zut, tu as été déçue ! Mais tu as raison, l'enchainement des péripéties n'est pas vraisemblable, c'est pour cela que j'avais lu ce titre comme une sorte de jeu avec le lecteur, le cynisme du personnage permettant ce détachement. Les fureurs invisibles du coeur me tente depuis longtemps aussi.
    Et tu as déjà lu un pavé ! Il faut que je m'y mette !

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  20. @ Violette = oh mais il a écrit d'autres titres que celui-là ou "Le garçon au pyjama rayé" ! Tu en trouveras déjà deux autres chez Sandrine, et puis il y a aussi Les fureurs invisibles du cœur ou Le syndrome du canal carpien ..

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  21. @ Fanja = comme l'écrit Athalie, tu peux le voir comme un jeu avec le lecteur... peut-être que prévenue, tu apprécieras mieux que moi, en effet.

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  22. @ Athalie = je me dis que ce titre aurait aussi pu être un formidable thriller, si l'auteur avait rendu l'intrigue plus subtile.. je ne m'attendais pas à ces ficelles aussi grosses, je l'avais imaginé comme un roman beaucoup plus complexe, d'un point de vue psychologique.

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  23. ah zut
    j'ai deux de ses romans (en anglais) et je crois que j'ai celui-ci, bizarre je te lis tout va bien et puis tout s'écroule à la fin, tu as été très déçue..
    zut !

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  24. @ Electra = tu sais, les déceptions sont souvent proportionnelles à nos attentes, et j'en attendais beaucoup... ou en tous cas j'en attendais autre chose, je crois. Je ne sais pas quel est l'autre titre que tu as, mais peut-être devrais-tu commencer par celui-là (enfin, pas Mr Swift, mais l'autre, donc)..

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  25. Encore un auteur dans mes listes de lecture que je n'ai encore jamais lu pourtant on parle beaucoup de lui sur les blogs. Je ne commencerai sans doute pas par celui-ci même s'il est dans ma médiathèque.

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  26. @ Manou = ah... ces fameuses listes de souhaits que les blogs alimentent sans fin ! Je confirme, mieux vaut découvrir l'auteur avec un autre titre. Les fureurs invisibles du cœur semble faire l'unanimité...

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  27. De cet auteur j'ai lu "Le secret de Tristan Sadler", un total chef-d'oeuvre. En revanche je n'ai pas pu finir Canal Carpien, j'ai frôlé l'overdose avec des vannes toutes les deux lignes...(Une Comète)

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  28. Effectivement, je garde de cette lecture un souvenir plaisant. Sauf erreur de ma part, je crois bien avoir toujours été enthousiasmé par les romans de Boyd que j'ai pu lire.
    Le principal, c'est que ce "raté" n'ai pas gâché la possibilité d'une prochaine lecture d'un des romans de l'auteur.

    PS : merci pour le coup de projecteur : la rigidité cadavérique de mon blog a été réveillée par quelques visites impromptues ;-)

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  29. @Béa = Sandrine a aussi beaucoup apprécié "Le secret de Tristan Sadler", que je me suis notée, du coup. Et je crois que tu n'es pas la seule à avoir eu du mal avec Le syndrome du canal carpien, que je ne retiens pas, du coup.

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  30. @Autist Reading = oui, cette déception ne m'empêche pas de reconnaître les belles qualités de sa plume... et j'espère que ces quelques visites t'inciteront à revenir plus souvent, tes chroniques me manquent !

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