LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Eloge des oiseaux de passage" - Jean-Noël Rieffel

"Avant, on disparaissait, on savait se faire oublier, par la force des choses. L'absence donnait de l'épaisseur à nos vies, convoquait le silence. Nous avions du temps : la part des anges, la montée des souvenirs, du poids des rêves, le lent bourgeonnement de nos émotions et de la contemplation."

Vétérinaire, Jean-Noël Rieffel dirige l’Office français de la biodiversité. Sa passion, dès l’enfance, pour les oiseaux, l’a par ailleurs incité à devenir ornithologue amateur. Autodidacte, il a enrichi ses connaissances en lisant de nombreux ouvrages de référence et grâce à de longues heures d’observation à travers l’ensemble du territoire français. Il rend avec ce texte un hommage aussi beau qu’instructif aux oiseaux, notamment aux migrateurs, symboles de liberté absolue. 

Le récit se fait souvent anecdotique, au gré de la relation d’épisodes naturalistes, d’informations sur les marottes d’ornithologues (j’ai entre autres retenu leur amour démesuré pour leur première paire de jumelles) ou sur leur fascination même pour les volatiles, qualifiée de "névrose obsessionnelle des oiseaux", dont Jean-Noël admet être atteint. Il refuse néanmoins, précise-t-il, de se soigner puisque loin d’y voir une pathologie, il la considère comme un remède contre les tourments de notre époque, un antidote pour résister à l’épilepsie contemporaine.

L’amour pour les oiseaux, démontre-t-il, est une intarissable source de bienfaits, un art de vivre alliant patience et silence. Leur observation, en imposant de se fondre dans le paysage et de se faire oublier, d’être à l’écoute de ce qui nous est extérieur, est aussi une grande leçon d’humilité, en même temps qu’elle a le pouvoir de nous faire renouer avec nous-mêmes, en nous amenant à nous interroger sur notre rapport au temps et la fragilité de nos existences. Et puis surtout, elle nous apprend l’émerveillement. Jean-Noël Rieffel considère les images glanées à l’occasion de ses observations et les impressions intenses qu’elles ont suscitées comme ses biens les plus précieux, et chaque grand moment de sa vie, associé au souvenir d’un chant ou de la vue d’un oiseau, est ainsi placé sous le gardiennage de sa passion. C’est sans peine qu’il nous la transmet, le temps de la lecture, en éveillant notre curiosité et notre propre émerveillement face à la richesse et à l’inventivité d’un univers qui se trouve en partie, comme il le rappelle, à simple portée d’yeux. D’inédites découvertes -le fait que la sterne arctique effectue chaque année le tour de la Terre, les raisons qui font que la huppe fasciée est surnommée "l’oiseau immonde"- ou le plaisir chavirant que procure le chant d’amour du tétras-lyre sont ainsi mises au même plan que la joie suscitée par la présence d’un rouge-gorge dans un potager ou la vision fugace du vol d’une chouette effraie dans un bois voisin.

La particularité de cet "Eloge des oiseaux de passage" est son érudition, qui ne s’arrête pas au domaine ornithologique : à quasiment chaque évocation d’un oiseau ou d’un épisode naturaliste, Jean-Noël Rieffel fait le lien avec un peintre, un musicien, un poète. Il crée ainsi un lien indissociable entre beautés naturelles et beautés artistiques, les secondes s’inspirant bien souvent des premières. Il démontre notamment l’alliance immémoriale entre oiseaux et poètes -une grande place est faite entre autres à Philippe Jaccottet-, évoque comment certains musiciens ont retranscrit les chants d’oiseaux. C'est d'ailleurs à travers l'observation des oiseaux qu'il réalise la promesse qu'il s'est lui-même faite au début de sa vie, de vivre dans la poésie.

Leur chant quotidien est aussi un moyen de "fréquenter la lisière du monde, là où deux espaces se rencontrent, le monde humain et le monde sauvage". Encore faut-il pour l’entendre retirer les casques de nos oreilles et ne pas être parasité par les nuisances sonores qui, en plus d'être dévastatrices pour l’ensemble des écosystèmes, le sont aussi pour la santé humaine. Encore faut-il qu’il reste des oiseaux… car ces pourvoyeurs d’enchantement sont, comme l’ensemble du vivant, en danger. Nos modes de vie de plus en plus urbains et productivistes, notre modèle d’agriculture intensive, mais aussi le braconnage et le commerce illégal sont à l’origine de ce qu’il définit comme une "hécatombe silencieuse". La population de passereaux connait un déclin sans précédent ; certaines espèces ont entièrement déserté le ciel français, 75 % des moineaux ont disparu de Paris entre 2003 et 2016.

Face à cet effondrement de la biodiversité, l’auteur se questionne sur le fait que les individus soient si peu nombreux à être sensibles à la présence des oiseaux. Constatant que les enfants connaissent dorénavant bien mieux le nom des applications numériques que celui des oiseaux, il déplore que leur reconnaissance ne soit pas prévue dans programmes scolaires. L’addiction aux écrans et aux réseaux sociaux a pris la place de l’observation, de la réflexion, de l’analyse de nos impressions complexes face aux ambiances naturelles ; "y être" et le faire savoir deviennent plus importants que l’attention portée aux choses. Pourtant, la capacité à être ému et mû par la nature devient essentielle face à la crise écologique. Car avec la disparition des oiseaux et de leur chant, l’humanité aura perdu un de ses plus grands trésors…


Si vous lisez ce bref mais passionnant ouvrage que je vous conseille, vous serez probablement tentés comme moi de chercher sur internet à quoi ressemblent certaines des surprenantes bêtes à plumes dont il y est question. En voici un petit échantillon : de haut en bas, le tichodrome échelette, le pouillot à grands sourcils (PGS pour les intimes), le grosbec casse-noyaux et le cincle plongeur...




… et un extrait de l'œuvre d'Olivier Messiaen, compositeur très influencé par le chant des oiseaux, qu'évoque aussi l'auteur :


Commentaires

  1. Bon, je t'avais dit que je voulais le lire, je l'ai emporté dans ma valise, voir ton billet pause, mais je n'ai pas eu le temps de le lire finalement. j'espère le lire... ^_^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai bien lu ton commentaire, mais j'ai oublié de te répondre... mon billet était déjà prêt et comme je n'en avais pas d'autres en "stock"... mais je ne doute pas que tu le liras, il est très court !

      Supprimer
    2. Faut juste qu'il passe en priorité, acheté il y a un an, ça va...

      Supprimer
    3. Suite à l'avis du Masque et la Plume, peut-être ? (c'est mon cas)..

      Supprimer
  2. Des oiseaux et Messiaen, ce livre a l'air très bien. Je note, on sait jamais, pour s'éloigner des bruits de la ville infernale...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On y apprend tout un tas d'éléments passionnants et parfois incroyables sur les oiseaux... l'auteur peut parfois donner l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, notamment lorsqu'il évoque le désintérêt actuel pour la nature au profit de la technologie, mais ce n'est pas vraiment gênant puisqu'il n'a pas tort, et que son texte n'a pas vocation à changer le monde, juste à nous communiquer un peu de son amour pour les oiseaux, et il y parvient très bien (même si, avec des lectrices comme nous, c'est sans doute très facile...).

      Supprimer
  3. Encore un livre pour moi ! Je suis en train de lire une BD sur Audubon, mais lui tuait les oiseaux pour les peindre...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah, la démarche n'est pas vraiment la même !... comme je l'écris en réponse à Nathalie, j'ai vraiment aimé découvrir toutes ses anecdotes sur les oiseaux.

      Supprimer
  4. Je comprends qu'on puisse être fan des oiseaux ! J'ai déjà vu un gros becs casse-noyaux près de mes mangeoires, j'adore ! Et un cincle plongeur, mais c'était plus fugace, au bord de la rivière. (je prends note de oiseaux observés)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quelle chance ! Je regarde les oiseaux autour de moi, mais hormis les plus "courants", je suis incapable de les reconnaître. De même pour leur chant, et je dois avoir une piètre mémoire auditive parce que parfois, j'écoute les extraits de ceux de certains oiseaux sur internet, mais dès que je suis "en direct", je peine à les reconnaître ...

      Supprimer
  5. j'ai des amis qui vivent intensément cette passion (les oiseaux) et cela les fait voyager, le nez en l'air dans le monde entier!

    RépondreSupprimer
  6. En te lisant, j'ai tout de suite pensé : "c'est un livre pour Keisha et peut-être Sandrine" ! Pour ma part, j'avoue que je n'y connais pas grand chose. J'habite en ville et je ne prends pas souvent le temps de lever le nez... sauf en été quand les mouettes font du raffut et quand je passe près d'une colonie de pigeons.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vis en ville aussi, mais j'ai la chance d'avoir un grand bois près de chez moi, dont une bonne partie est laissée plus ou moins à l'état sauvage. Je m'y promène souvent, et j'ai repéré les endroits où les oiseaux y sont le plus nombreux (ne portant jamais de casque, je suis toujours attentive au chant des oiseaux)... sinon, mon balcon fait face à des espaces verts non construits, et j'y ai posé des mangeoires que je remplis l'hiver. Nous avons pas mal de mésanges (bleues et à longue queue, sachant qu'il m'a fallu du temps pour identifier ces dernières !), des rouges-gorges, des rouges-queues, et les inévitables pies, palombes et étourneaux...

      Supprimer
  7. Oh ça tombe à pic car depuis peu j'utilise une appli qui permet d'identifier les oiseaux à leur chant, très pratique pour les ignares comme moi. Et j'aime bien l'idée de références littéraires en plus des informations ornithologiques!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il devrait te plaire dans ce cas, c'est érudit mais jamais lourd, et surtout passionnant..

      Supprimer
  8. Oh ça c'est un livre pour Géraldine qui fait elle-même de magnifiques photos d'oiseaux. J'espère qu'elle ne ratera pas ce billet.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vais aller voir ça de plus près. Je pourrai ainsi lui signaler l'ouvrage, en même temps :)

      Supprimer
  9. J'ai grandi à la campagne mais on ne m'a pas appris grand chose sur les oiseaux et je le regrette bien. En ville ce sont les pigeons, les mouettes et les corneilles qui ont pris le dessus. Côté chant c'est pas ça !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis moi aussi ignare sur le sujet, bien que j'essaie d'apprendre un peu, mais c'est vrai qu'en ville, la variété ornithologique reste limitée...

      Supprimer
  10. Oiseaux, Art, Poésie... Un livre que j'ai bien envie de lire.
    ET j'ai bien envie de savoir pourquoi la huppe fasciée est surnommée "l’oiseau immonde" !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est en effet un joli mélange, par ailleurs tout à fait cohérent, que l'auteur concocte en toute fluidité... et pour "l'oiseau immonde", eh bien, je te laisse le découvrir !

      Supprimer
  11. J'aime beaucoup les oiseaux. J'ai commencé à m'y intéresser quand j'avais 14 ans. J'ai construit, à cet âge, ma première volière, pour mes canaris et mes mandarins. A cette époque, on pouvait encore capturer un certain nombre d'oiseaux par an. J'ai eu ainsi des verdiers, des chardonnerets, des tarins, des pinsons,... J'ai passé un examen de reconnaissance des oiseaux afin d'obtenir des bagues pour ces oiseaux capturés.
    Le tichodrome, je le connais depuis peu, mais je n'en ai jamais vu en vrai. Il est magnifique !
    Un livre qui m'intéresserait certainement.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah mais tu es un véritable expert, et j'ai l'impression que ce livre est en effet pour toi ! Voir le tichodrome se mérite, visiblement... il niche dans des endroits difficilement accessible (ce qui l'a sans doute préservé). Mais il est superbe, oui...

      Supprimer
  12. Un livre qui m'intéresse beaucoup j'adore identifier les oiseaux quand j'arrive à les approcher ce qui n'est pas gagné quand je me balade en vacances avec mon adorable tribu !! Je le note donc...

    RépondreSupprimer
  13. Voilà un livre parfait à offrir à mon fils ! (et je le lui piquerai après ...)

    RépondreSupprimer
  14. Depuis 3 ans et demi, je suis devenue photo-ornithophile... Je passe donc des heures dehors à chercher, à écouter, à observer. C'est devenu ma soupape... mon besoin et ma curiosité viscérale. Donc bien entendu, j'ai ce livre dans ma PAL, prêté par une amie, donc lecture très prochaine :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une belle passion. J'avais l'intention de te signaler ce billet, suite au commentaire de Fanja, puis j'ai oublié.. mais je vois que ce n'est pas grave, sans doute était-il évident que ce titre atterrisse, d'une manière ou d'une autre, entre tes mains. Je suis curieuse de ton avis : en tant que néophyte, j'ai adoré apprendre tout un tas de choses sur les oiseaux, mais ça ne sera peut-être pas ton cas..

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.