"Jane Eyre" - Charlotte Brontë
"Je puis vivre seule, si le respect de moi-même et les circonstances m'y obligent; je ne veux pas vendre mon âme pour acheter le bonheur."
Orpheline, Jane a été recueillie dans la famille d’un oncle maternel qui a eu la mauvaise idée de décéder, la laissant aux bons soins de sa veuve, Mrs Reed. Elle passe ainsi sa petite enfance dans un foyer hostile, en butte à l’injustice et au mépris, où on ne cesse de lui rappeler son infériorité, subissant de la part des enfants Reed (deux filles et un adolescent stupide et brutal) arrogance et cruauté. Bien qu’en arrivant parfois à douter de de sa propre valeur, Jane se rebelle, et obtient de partir en pension. C’est ainsi qu’elle se retrouve, à dix ans, dans un établissement dont le donateur s’est donné pour mission d’aguerrir des pensionnaires auxquelles leur condition de filles pauvres interdit tout plaisir et toute velléité d’accomplissement. La vie y est dure malgré la bienveillance des enseignantes, marquée par le froid et la faim. Il faut une épidémie de typhus dévastatrice pour que l’on s’intéresse au sort de ces jeunes filles et que, repris par une autre direction, Lowood devienne une école "noble et utile". Jane y passe toute sa jeunesse, comme élève puis en tant qu’institutrice. A dix-neuf, désireuse de changer de vie, elle obtient un poste de préceptrice, et échoue au château de Thornfield-Hall, où elle a la charge de l’éducation d’Adèle, pupille de Mr Rochester.
Indépendante et pragmatique, Jane s’installe aisément dans sa nouvelle routine, se liant d’emblée avec les habitants du lieu, qu’il s’agisse de la fillette dont elle a la charge ou d’une domesticité qui apprécie sa mesure et sa cordialité. Seule la présence de Grace Poole, servante recluse dans une chambre de l’étage supérieure d’où l’on entend parfois le vague écho d’un rire tragique et inhumain, provoque à l’occasion un trouble fugace.
C’est peu à peu qu’elle apprend à connaître son employeur, qui ne vient que rarement à Thornfield-Hall. Mr Rochester a vingt ans de plus qu’elle, et sa relative laideur est compensée par un indéniable magnétisme. Jane a su déceler, sous ses airs hautains et sarcastiques, intelligence et sensibilité. D’ailleurs, le tuteur d’Adèle s’est toujours montré bon avec elle, bien que parfois distant.
La jeune femme réalise bientôt qu’elle est éprise.
On se laisse porter sans peine par la plume fluide -bien que par moments un peu exaltée- de Charlotte Brontë, par la richesse de ses dialogues et par les rebondissements d’une intrigue pimentée par la dimension mystérieuse et vaguement inquiétante que lui confèrent le personnage de Grace Poole et l’attitude énigmatique de Mr Rochester. Mais ce qui fait le principal intérêt du roman, c’est le personnage, dense et souvent surprenant, de la narratrice. Si certains ressorts de l’intrigue peuvent évoquer ces fables où triomphe un amour a priori rendu impossible par ce qui sépare -entre autres socialement- ses protagonistes, Jane Eyre n’est ni Cendrillon, ni La Belle au bois dormant. C’est une femme qui malgré sa jeunesse fait preuve non seulement d’une grande intelligence, mais aussi d’une sensibilité qui lui permet d’analyser les êtres et les situations, ainsi que ses propres sentiments, avec beaucoup de finesse. Lucide quant à son manque de charme et à la modestie de son statut social, elle a néanmoins conscience de sa propre valeur, et fait suffisamment confiance à son jugement pour agir selon ses principes et le respect de sa propre intégrité. Son attachement aux valeurs morales de son temps est davantage dicté par une foi centrée sur la bienveillance et la dignité auquel tout individu doit pouvoir prétendre, que par les diktats d’une société puritaine et profondément hypocrite dont elle est complètement détachée. A la fois active et réfléchie, chérissant sa liberté d’action et d’expression, elle est convaincue de l’importance d’accorder aux femmes confiance et instruction, afin de leur permettre d’exprimer des talents et des capacités égalant ceux des hommes.
C'est aussi un peu un roman gothique. Mais ce que tu dis me rappelle pourquoi j'apprécie la lecture de Charlotte et Anne Brontë : les héroïnes sont ordinaires, mais valeureuses, et elles parviennent à trouver une vie heureuse (même si très discutable dans le cas de Jane Eyre vu le passif de Rochester) et c'est très réconfortant.
RépondreSupprimerPar moments un peu exaltée dis-tu? Oui, j'accepte, mais au sujet des hauts de Hurlevent (oui, la soeur), que dirais tu?
RépondreSupprimerTu as bien fait de le relire, ces versions abrégées sont bien pour un départ jeunesse, mais ensuite c'est mieux de découvrir l'œuvre en entier
Je l'ai relu il y a quelque temps et je n'avais pas du tout regretté ma redécouverte ! Je suis totalement d'accord avec toi sur ta conclusion, un roman d'avant-garde et féministe...
RépondreSupprimerJane Eyre est un personnage assez avant-gardiste en effet. Mais les ambiances gothiques ne sont pas du tout ma tasse de thé et je n'ai jamais vraiment pu m'enthousiasmer pour ce roman et encore moins pour Les Hauts de Hurlevent.
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