"True story" - Kate Reed Petty
"Dans un film d'horreur, quand quelqu'un ne connaît pas la réponse à une question, c'est en général que le moment est venu d'aller à la bibliothèque…"
Elles se succèdent dans le désordre, de 1999 à 2015, donnent la parole à divers acteurs du drame auquel elles renvoient de manière plus ou moins directe, et prennent des formes multiples : lettres qui pour certaines n’atteindront jamais leur destinataire, imbuvables scenarii de films d’horreur, brouillons répétitifs de candidatures universitaires…
Tout part d’un événement aussi malheureusement banal qu’inacceptable : une lycéenne ivre est reconduite chez elle par deux étudiants, qui en profitent pour abuser d’elle.
L’épisode est d’abord évoqué par les coupables, évidemment sans dimension délictueuse, avec force vantardise et vulgarité, auprès des potes de leur équipe de crosse -dont Nick, le narrateur- que l'anecdote réjouit. Le récit transpire une misogynie quasi institutionnelle qui autorise ces jeunes en pleine effervescence hormonale à des discours et des gestes qui traduisent l’arrogance et la brutalité infusées par une éducation centrée sur une masculinité viriliste et toute puissante. C’est un univers de bizutages humiliants et stupides, de fêtes où l’herbe et l’alcool désinhibent et révèlent les pires penchants, où règnent la loi du plus fort et une inepte solidarité masculine. Car quelles que soient les dérives de ces garçons, il s’agit ne pas gâcher leur avenir. Après tout, ce ne sont là que bêtises d’adolescents, et puis à se mettre dans cet état, cette fille l’a bien cherché après tout… C’est aussi l’avis de Nick, davantage préoccupé par les conséquences de cette histoire sur ses chances de séduire la belle Haley, qu’elle a choquée, que par les ravages qu’elle a pu faire sur la victime.
Cette dernière reste longtemps insaisissable, et sa version des faits occultée. Nous l’approchons par fragments, au fil d’épisodes de sa vie ultérieurs à celui du viol, révélant une profonde vulnérabilité qui fait d’elle la cible idéale de toute velléité d’emprise.
J'ai u ce roman lorsqu'il est sorti. Il est très original par sa forme (c'est un patchwork constitué de récits à la première ou à la seconde personne du singulier, de retranscriptions d’interviews, d’extraits de scénarios cinématographiques ou de brouillons de lettres...). Il est original aussi dans la manière de traiter le sujet. L'autrice veut montrer le peu de crédit accordé à la parole des femmes en prenant le contrepied de ce phénomène. C'est à dire qu'elle se place d'un autre point de vue. Bref, je ne vais pas tout divulgâcher mais je peux dire que c'est intelligemment construit.
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire très éclairant, qui compense les lacunes de mon billet, rédigé un peu vite :)...
SupprimerHum, un brave Totem qui a l'air bien aussi dans sa forme! Noté.
RépondreSupprimerIl devrait convenir à ton appétence pour les formes originales...
SupprimerL'autrice n'a eu qu'à piocher dans toute une série de faits divers avec les viols de jeunes femmes dans des soirées étudiantes, en particulier dans les fameuses fraternités. C'est très malin d'avoir laissé planer le doute sur les évènements et d'insister sur le fait que des rumeurs peuvent suffire pour détruire .
RépondreSupprimerC'est çà, elle prend un sujet, comme je l'écris "malheureusement banal", mais choisis pour le traiter un angle original. C'est ce qui fait en partie l'intérêt de ce texte.
SupprimerLu à sa sortie en grand format, je n'avais pas été convaincue, je trouvais que ça tenait plus de l'exercice de style que du roman alors que le propos était très intéressant.
RépondreSupprimerJe reconnais que le procédé formel est parfois un peu maladroit, ou un peu lourd, mais j'ai trouvé que l'ensemble, finalement, se tient...
SupprimerCela fait deux fois que je note ce roman , il faut que je le lise car je trouve ce sujet très important . Athalie est une bonne source de tentations.
RépondreSupprimerOh oui, je ne compte même plus les titres notés chez elle, et dont la découverte a généralement été fructueuse ! Kate Reed Petty aborde "la culture du viol" (je reprends les termes de la 4e de couverture, bien que cette formulation me semble un peu floue) en adoptant un point de vue original, qui lui permet de condamner non seulement certains comportements, mais aussi les récits diffusés à leur sujet, qui renforcent le sentiment de toute puissance et d'immunité des coupables, qui ne sont pas vus comme tels..
SupprimerJ'avais été très tentée à sa parution, mais les avis divergeaient pas mal, d'enthousiastes à bien plus mitigés. Je me ferai peut-être mon propre avis un jour, sans urgence.
RépondreSupprimerIl n'est pas sans défaut, comporte notamment quelques lourdeurs stylistiques, mais la construction dans son ensemble tient très bien, et permet une approche originale et intelligente du propos.
SupprimerJe pourrais en dire tout autant pour le nombre d'idées de lectures piochées chez toi ! Avec certaines découvertes marquantes ! Evidemment, pour ce titre, ce n'est pas un livre choc, mais il est habilement fait et même si il y a des maladresses parfois peu crédibles dans le destin des deux personnages féminins, je rejoins complétement ce que tu as écrit sur le trouble qu'apporte la fiction, les mécanismes de la domination et la problématique du discours "véridique".
RépondreSupprimerJe crois que c'est un premier roman ? Si c'est le cas, il est prometteur malgré ces maladresses que nous avons relevées toutes les deux. Une auteure à suivre, donc...
SupprimerAuteure et livre inconnus. Une histoire touchante, sans doute.
RépondreSupprimerJe ne suis pas certaine que je la qualifierais de "touchante". Le roman est traversé par une violence souvent insidieuse, et parfois évidente, et la manière qu'a l'auteure de jouer sur les variations de récit instille un doute qui fait souvent davantage marcher la tête que le cœur, il me semble.
SupprimerVoilà qui pourrait me plaire : j'apprécie les romans avec des constructions qui sortent de l'ordinaire.
RépondreSupprimerComme l'écrit Athalie, ce n'est pas le roman de l'année, mais je l'ai trouvé assez malin, et construit sur une proposition originale.
SupprimerJe l'avais noté à sa sortie mais j'ai lu des avis mitigés ce qui explique que j'ai laissé tomber...mais ce que tu en dis sur la manière originale dont elle s'empare du sujet titille ma curiosité, ça pourrait me plaire.
RépondreSupprimerOui, les avis étaient divisés le concernant, et comme je l'écris ci-dessus, je peux le comprendre, il y a quelques lourdeurs, notamment sur la forme. Mais quand même, il y a de l'idée, et une démarche originale qui méritent d'être saluées...
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