"Le bourreau affable" - Ramón Sender

"Parfois, il pensait que la religion était noble et véridique mais que quelque chose allait mal dans la manière dont les curés l’appliquaient."

Rien ne destinait Ramiro Vallemediano à devenir bourreau. C’est pourtant dans cette fonction que le narrateur fait sa connaissance à l’occasion d’une exécution à laquelle il assiste. Comme il a suscité sa sympathie, le bourreau accepte de lui raconter son parcours.

Enfant illégitime né dans un village d’Espagne, Ramiro est vif, adroit, et avide d’apprentissage. La découverte de la philosophie de Sigismond, personnage qu’il joue au collège lors d’une représentation théâtrale, le convainc d’adopter son crédo, qui est aussi le titre de la pièce (de Pedro Calderón de la Barca) : "La vie est un songe". Il aime en effet se plonger dans des errances fantasmagoriques, et ses nuits sont animées de rêves foisonnants peuplés de monstruosités, d’étranges animaux ou de têtes sans corps, chargés d’un symbolisme aux tendances prémonitoires. "Prompt à aimer toutes les femmes", il jette son dévolu sur la fille du pharmacien de son village, qui le lui rend bien. Mais à peine les deux jeunes gens ont-ils échangé leurs premiers baisers qu’un malheureux concours de circonstances provoque la mort de sa belle ainsi que celle de son père, contraignant Ramiro à la fuite.

Il trouve refuge dans un couvent où il se fait passer pour une fille, séduisant bientôt ses voisines de chambre, et ce n’est que le début d’une trépidante suite d’aventures. Après un passage dans un cirque où son amourette avec une sirène (dont on ne sait si la queue est un pastiche ou réelle) connait là aussi une issue tragique, notre héros se retrouve à Madrid où il fréquente aussi bien l’aristocratie que les cercles anarchistes et fait de la prison, puis se retrouve dans un village andalou où la Garde républicaine réprime dans le sang une révolte paysanne, événement historique connu sous le nom du massacre de Casas Viejas (1933).

Tout au long de ses tribulations, Ramiro cherche le sens de sa vie. D’esprit indépendant et s’adaptant à toute situation, curieux sans être naïf, il s’intéresse à divers courants philosophiques, mais ne s’enferme dans aucune doctrine. Il nourrit pour les aristocrates et le roi -"dont on voit sur son visage qu’il n’a jamais lu un livre"-, un profond mépris, mais admire par-dessus tout l’honnêteté intellectuelle et la droiture des hommes qui mettent en œuvre ce qu’ils pensent être juste. Ses expériences l’amènent néanmoins à un désespérant constat, celui de l’inéluctable tendance de l’homme au mal, et cette propension à la violence, par laquelle il se sent lui-même rattrapé, l’obsède. Il en nourrit un sentiment récurrent de culpabilité qui l’empêche de s’adonner complètement aux plaisirs de la vie, une anxiété de caractère religieux qu’exacerbe la présence de l’étrange auréole qu’il croit parfois percevoir autour de sa tête…

Malgré quelques longueurs liées aux descriptions détaillées de certains des rêves de Ramiro, dont le symbolisme abscons m’a par ailleurs un peu perdue, j’ai grandement apprécié cette lecture. Bien qu'écrit en 1952, et se déroulant autour des années 1920-1930, on pense, par la succession des péripéties, aux romans feuilleton d’aventures du XIXème siècle, l’auteur y ajoutant une forte dimension psychologique que nourrissent les questionnements métaphysiques du héros. Le texte est ainsi à la fois divertissant et profond.

Commentaires

  1. Si trop de rêves dans un roman qui par ailleurs me plait, je saute les passages...

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    1. Confidence pour confidence, c'est bien ce que j'ai fait aussi...

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  2. Quelle trouvaille ! De Ramon Sender je n'ai lu que le "Requiem pour un paysan espagnol" qui n'est pas du même ton que celui-ci, picaresque semble-t-il.

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    1. C'est un cadeau de mon conjoint, qui s'y prend souvent au hasard (ce n'est pas un grand lecteur), mais tombe souvent plutôt bien ! C'est l'occasion de découvrir des titres que je n'aurais sans doute lus sinon...
      "Picaresque" est en effet le mot juste, et on prend beaucoup de plaisir à suivre les péripéties de ce héros aussi aventureux qu'introspectif.

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  3. Je crains que le "symbolisme abscons" soit un peu lourd pour moi.

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    1. Comme le suggère Keisha, tu peux sauter certains passages (ce dont je ne me suis pas privée...).

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  4. De Ramon Sender, je n'ai lu qu'un roman, L'empire d'un homme, et je m'étais promis d'en lire d'autres. Je suis passée à d'autres auteurs, comme bien souvent ! Bon, là, ce que tu dis des rêves me freine un peu !

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    1. On peut les lire en diagonale, ce n'est pas gênant pour la compréhension de l'intrigue... je vais quant à moi me renseigner sur les autres titres de cet auteur.

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  5. Ce roman pourrait me plaire malgré les quelques bémols. Cette histoire de bourreau m'en rappelle une autre (même si le contexte historique n'a rien à voir). Il s'agit d'un roman de Michel Folco, Dieu et nous seuls pouvons, que j'avais adoré. Je te le recommande.

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    1. J'espère que cette histoire de rêves ne réfrènera pas les envies, car c'est sinon un roman divertissant, et bien écrit. Et je retiens le roman de Michel Folco, merci pour le conseil !

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  6. Petite inspiration du roman picaresque aussi, dirait-on. Je ne connais pas l'auteur, mais il pourrait m'intéresser.

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    1. Figure-toi que j'ai beaucoup pensé à toi en le lisant, c'est exactement le genre de titre que je m'attends à trouver chez toi.. je suis même étonnée que tu ne le connaisses pas. Ceci dit, il s'agit là d'une réédition, c'est un auteur que je n'avais jamais croisé auparavant.

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  7. Argh, le picaresque m'ennuie souvent profondément... Mais ton billet me rappelle que je voudrais lire La vie est un songe depuis un certain temps...

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    1. Je serais curieuse de lire un billet sur cette pièce dont je n'avais jamais entendu parler avant cette lecture...

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  8. Avec ton billet, je découvre un auteur. Le symbolisme ne me rebute pas a priori. Du coup je note ce titre. A découvrir à l'occasion.

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  9. Très tentée par ce roman et son personnage qui semble vivre des expériences aussi différentes qu'intenses. Ses questionnements métaphysiques sont un plus indéniables appréciant les héros avec une certaine profondeur.

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  10. une lecture pas banale , c'est très amusant de lire des livres d'une autre époque mais je ne suis pas sûre d'accrocher

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    1. Une lecture revigorante, ça fait du bien de se plonger dans des récits d'aventure un peu surannés...

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  11. En général, je passe en avance rapide les descriptions de rêve dans mes lectures.

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