"Kramp" - María José Ferrada
"A huit ans ou presque, j’avais découvert que D. n’était pas très doué comme père, mais que c’était un excellent employeur."
"Tout est possible dès lors qu’on a l’esprit décidé et le bon costume". Telle est la conviction qui s’est emparée de D. le jour où l’homme a marché sur la lune, et qui l’a décidé à se lancer dans une carrière de vendeur d’articles de quincaillerie. C’est ainsi qu’il est devenu commercial pour la marque Kramp, et qu’il a par ailleurs rencontré en novembre 1973, alors qu’elle faisait du stop pour se rendre à l’université, la "plus belle femme du monde", avec laquelle il s’est marié.
A l’âge de sept ans, leur fille, M., décide d’être son assistante. La fillette obtient gain de cause grâce à sa ténacité et au fait que sa mère, "quittée par une partie d’elle-même", est partiellement absente (du moins mentalement) du foyer.
M. est la narratrice, et elle revient sur cette période de son enfance où, entre comptoirs de quincailleries, cafétérias et hôtels, elle a accompagné D. (qu’elle ne désigne jamais comme son père), au volant de sa 4L. Elle a ainsi mené une sorte de double vie, entre l’école et les tournées, et fait un double apprentissage de la vie, basé à la fois sur les règles fantaisistes de ses parents (qui par exemple classaient les gens en personnes d’été et personnes d’hiver) et les stratégies de survie en milieu commercial, où les petites combines étaient indispensables pour optimiser des gains sinon médiocres.
"Ma compréhension du monde se dilatait comme une éponge."
Régulièrement, M. et D. rencontraient un ami de ce dernier, E., responsable d’un petit cinéma où ils enrichissaient leur culture cinématographique, mais aussi passionné de photos, notamment celles des fantômes d’un mystérieux village abandonné, où il se faisait souvent déposer par D. pour en capturer, prétendait-il, les apparitions.
La narratrice restitue avec sa franchise et sa logique d’enfant un microcosme où la notion de responsabilité, au sens sociétal du terme, n’avait pas cours, et où elle a instauré son propre ordonnancement du monde.
Puis est survenu un drame, resté mystérieux à ses yeux d’enfant que l’on a voulu protéger, mais que sa dimension elliptique a rendu d’autant plus angoissant. Il matérialise ainsi pour le lecteur à la fois la violence de la dictature chilienne, et la chappe de silence posée sur les manifestations de sa répression.
Au fil de brefs chapitres qui rythment alertement le récit, la fantaisie et la fraîcheur décalées de la voix de M. nous pénètre, tout en nous imprégnant peu à peu d’une insondable mélancolie.
Au départ, le roman semble presque drôle ...
RépondreSupprimerMerci pour cette ultime participation au Printemps latino. Cela aurait été dommage de ne pas la compter. Keisha a lu aussi ce court roman (un peu en avance). On dira que ce roman a été repêché au moins deux fois et il semble en valoir la peine.
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