"Les sources" - Marie-Hélène Lafon

"La source serait là, une source. Elle préfère le mot source au mot racine."

C’est une belle ferme du Cantal : trente-trois hectares et un tracteur, un commis, un vacher. On a même une bonne, ce qui n’est pas le cas de tout le monde… Cela fait quatre ans que la famille s’y est installée, loin de tout.

Nous sommes à la fin des années 1960, et c’est sur la mère, Nicole, que s’attarde d’abord le regard. C’est samedi, le début d’après-midi, et toute la maisonnée se tient à carreaux parce que le père fait la sieste. Les trois enfants, âgés de quatre à sept ans, jouent dans le jardin. Nicole se réjouit d’aller, le lendemain, chez ses parents, où elle pourra rire et parler librement, sans que son mari "ait le dessus". 

A trente ans, après huit années de mariage et trois césariennes successives qui ont dévasté un corps qu’elle néglige -sa mère l’encouragera encore à faire un régime, pour sa santé et celle de son ménage-, sa vie est un saccage, un long hiver qui ne finira jamais, avec la peur lui tordant le ventre en permanence, les insultes humiliantes, la hantise des samedis où il faudra laisser faire ce mari brutal, qui cogne au moindre prétexte. Mais si elle a des regrets d’avoir accepté de venir se perdre dans ce coin isolé où elle se retrouve coincée avec ses trois enfants, elle taira son enfer, par orgueil, et parce qu’elle est d’un monde où les blessures intimes sont taboues.

Une deuxième partie nous transporte aux côtés cette fois du mari, le jour de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Homme de la ruralité aussi laborieux qu’ambitieux, il aura les moyens de payer des études à sa fille aînée bientôt bachelière, même s’il a personnellement bien du mal à suivre et comprendre la marche d’un monde où les femmes veulent prendre la place des hommes. Le personnage y acquiert une humanité qu’occultait une première partie où il n’avait pas la parole, mais entérine en même temps, par ses considérations qu’on aimerait d’un autre âge sur la condition féminine, la répulsion éprouvée d’emblée à son encontre.

Le lecteur est immédiatement frappé par l’efficacité de l’écriture. Essentiellement factuelle, elle évite pourtant le piège d’une sécheresse qui priverait les personnages de chair. Précision et sobriété, mises au service du significatif, laissent une place criante à l’essentiel, et riment ainsi avec puissance d’évocation. C’est un texte qui frappe tout en nous entrainant dans son rythme lapidaire.


Et c’est un premier Gravillon (128 pages au Livre de poche).

Commentaires

  1. Je ne l'ai pas (pas encore) lu, celui-ci, mais j'aime bien l'écriture sobre de Marie-Hélène Lafon.

    RépondreSupprimer
  2. J'ai pu lu Marie-Hélène Lafon mais je lirai ce titre-là que tu présentes très bien.

    RépondreSupprimer
  3. j'ai apprécié cette écrivaine sans jamais mettre un coup de cœur à ses romans, mais j'aime qu'elle sache parler des invisibles de notre société.

    RépondreSupprimer
  4. Forcément je l'ai lu, j'ai aimé.

    RépondreSupprimer
  5. Pareil que Luocine, j'aime, mais en même temps, j'ai comme une petite réserve que je n'arrive pas à expliquer. Mais je le note quand même si je tombe en panne de Gravillons :-)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.