"Débâcle" - Lize Spit
A la recherche de l'innocence perdue.
"Débâcle" est de ces récits qui vous empoisonnent lentement, insinuant presque à votre insu ses émanations toxiques en vous, de ceux que vous refermez avec la sensation d'être recouvert d'une pellicule poisseuse et vaguement nauséeuse...
Invitée par Pim, l'un de ses anciens camarades, à la fête posthume qu'il organise en hommage à son frère Jan, décédé treize ans auparavant, Eva se rend dans son village natal de Bovenmeer. Cela fait neuf ans qu'elle n'a pas remis les pieds dans la bourgade flamande, et le trajet vers les lieux de son enfance fait affluer les souvenirs, notamment ceux, bouleversants, de l'été 2002...
Laurens complétait alors le duo formé par Pim et Eva pour constituer la bande des trois mousquetaires, ainsi qu'ils s'étaient eux-mêmes surnommés, depuis que, seuls enfants de la commune nés en 1988, ils avaient évolué ensemble dans une classe annexe dont ils étaient les uniques élèves. Son exclusion des groupes de filles, et l'absence de stabilité affective au sein de sa famille dysfonctionnelle, entretint chez Eva le besoin désespéré de conserver sa place au sein de ce trio, l'amenant à calquer ses postures, ses envies et ses activités sur celles de ses deux amis. Avec l'arrivée de la puberté, la nature des jeux évolua, les visionnages de films pornographiques et de séances de masturbation en duo pratiquées en douce par les garçons remplaçant les baignades et les balades à vélo, la tentation de la perversion s'immisçant dans l'ingénuité enfantine.
Porté par la voix d'Eva, le récit se déroule lentement -au point que le début semble un peu long-, oscillant entre passé et présent, au gré d'épisodes qui, par bribes, et par le truchement de détails dont on ne prend souvent la mesure de la terrible signification qu'a posteriori, dessinent peu à peu les contours de son existence pathétique, et les racines du mal-être qui la hante depuis toujours, cette impression permanente d'être incomplète, jamais à la bonne place, ces complexes qui l'empêchent de porter des manches courtes ou de mener à bien ses relations aux autres.
Je n'ai pas envie de vous en dire plus, l'un des principaux intérêts de ce roman résidant dans sa manière de dévoiler progressivement, presque subrepticement, une réalité que l'on soupçonne insoutenable. Au fur et à mesure que l'on progresse dans le récit, chaque phrase, chaque anecdote, même anodines, semblent traduire un malaise de plus en plus prégnant sous lequel la tragédie affleure.
"Débâcle" est un récit douloureux et glaçant, d'une impitoyable habileté, qui met souvent mal à l'aise, car naviguant sur les zones d'opacité de la frontière entre innocence et cruauté. Et le contraste entre la fragilité béante qui perce sous l'apparent détachement avec lequel Eva s'exprime, et sa détermination à régler ses comptes avec un passé traumatisant, rend son témoignage d'autant plus poignant.
A lire !
L'avis de Marie-Claude, et celui de Miss Sunalee, qui l'a lu en VO.
Ce roman a eu énormément de succès en Flandre et j'ai très vite été attirée (je l'ai donc lu en v.o.). J'ai beaucoup aimé ce récit, certes lent, mais qui raconte l'adolescence de manière très réaliste. Surtout quand on connaît un peu les mentalités locales.
RépondreSupprimerJe me souviens avoir lu un article sur la traduction (en général) où on interrogeait Lize Spit sur le titre français. Elle n'y voyait aucun problème, étant donné que "débâcle" a quelque part la même signification que le titre en néerlandais "Het smelt", qui veut dire littéralement "ça fond".
Voici le lien vers mon compte-rendu: https://popupmonster.wordpress.com/2016/06/04/het-smelt/
Merci pour précisions très intéressantes, je rajoute un lien vers ton billet.
SupprimerMême si le sujet a l'air dur, je note car ton billet donne envie de découvrir cette héroïne...
RépondreSupprimerElle est vraiment attachante, malgré le ton un peu distant avec lequel elle déroule son histoire (et cette distance a une explication déchirante) et je trouve que Lize Spit fait preuve d'une grande habileté, en entretenant la noirceur de son intrigue avec parcimonie, comme si elle l'y diffusait au compte-gouttes, mais en permanence. Ça rend le début du roman un peu lent, mais il faut persévérer, il e vaut le coup !
SupprimerJe l'avais repéré dès sa parution, c'était dans la période du mois belge, un peu avant même et je me disais que c'était là une belle occasion de lire un auteur flamand. Ça m'avait beaucoup tenté au début mais j'ai l'impression, au fur et à mesure des avis, que c'est un peu trop noir et glauque pour que j'y trouve mon compte.
RépondreSupprimerJe l'avais repéré aussi à sa sortie, il faut dire que la couverture attire l'oeil ! Quand je l'ai trouvé d'occasion chez Gibert, j'ai sauté dessus... à toi de voir, c'est très noir en effet, et d'une violence sourde assez oppressante...
Supprimerle sujet est dur, j'ai des problèmes avec les pervers et la perversion en général mais je le note quand même...
RépondreSupprimerA part une scène très éprouvante vers la fin, on est pendant la majeure partie du roman surtout dans de l'angoisse insidieuse, mais qui peut se révéler après tout très violente aussi, bien que d'une manière différente... j'admets que c'est un texte qui peut mettre mal à l'aise, mais il est très fort, et quel talent !
SupprimerD'après ce que tu en dis, je comprends mieux l'image de la première de couverture qui m'avait choquée (l'effet est voulu, je sais) au premier abord !
RépondreSupprimerBien que cette image ne reflète pas véritablement le contenu du roman, elle traduit assez bien son ambiance... ce texte choque, en effet, mais pas gratuitement. Je me répète, mais plus j'y pense avec le recul, et plus je suis bluffée par l'habileté de l'auteur, qui tisse avec minutie, petit bout par petit bout, une toile qui se tend de plus en plus, et nous emmène progressivement jusqu'à la rupture...
SupprimerSympa la photo du livre :-) (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerN'est-ce pas ? L'éditeur a été très malin sur ce coup-là !
SupprimerWaouh. J'ai vraiment envie de le lire. Je pense que le lecteur DOIT être malmené de temps en temps et marqué par une oeuvre.
RépondreSupprimerJe suis d'accord, les romans qui m'ont le plus marquée sont ceux qui m'ont bousculée... j'espère qu'il te plaira (quoique je ne sais pas si c'est le terme qui convient, j'espère donc plutôt qu'il te marquera..)
SupprimerTu en parles excellemment bien. Le billet que je m'apprête à publier est moins brillant mais on est sur la même longueur d'onde :)
RépondreSupprimerOh, je suis sûre que ton billet est très bon, comme d'habitude ! Je le lirai en tous cas avec beaucoup d'intérêt, ce titre restera l'un de ceux qui m'auront le plus marquée cette année..
SupprimerCette couverture m'attire depuis sa sortie, elle est dérangeante à souhait.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'elle est à la fascinante et dérangeante, et traduit bien l'atmosphère du roman, même si l'héroïne ne ressemble guère à celle de la couverture...
Supprimer