LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Corruption" - Don Winslow

"... la vérité et la justice, à l'américaine. A l’américaine, ça signifie que la vérité et la justice peuvent se dire bonjour dans le couloir et s'envoyer des cartes de vœux à Noël, mais leurs relations s'arrêtent là".

Avec "La griffe du chien", Don Winslow est directement entré dans mon panthéon littéraire... Aussi, en lisant à propos de son dernier roman, "Corruption", les éloges notamment exprimés par Stephen King et James Ellroy, le qualifiant par exemple "d'inoubliable", je me suis réjouie d'avance...

Trop, peut-être ? Toujours est-il que les débuts de ma lecture ont été un peu laborieux, contrariés par une écriture que j'ai trouvée simpliste, m'empêchant de m'impliquer dans le texte et de le trouver vraiment crédible. Cela s'est arrangé assez rapidement, sans doute parce que je me suis suffisamment accoutumée au style pour ne plus m'attacher qu'à l'intrigue.

"Corruption" est l'histoire d'une chute, celle d'un roi nommé Denny Malone. Son territoire : Manhattan North et ses banlieues gangrenées par la délinquance, la drogue et le banditisme, où il règne en tant que meneur de la Task Force, une unité d'élite de la police new-yorkaise. Utilisée par les dirigeants politiques (en l'occurrence la mairie de New-York) qui orientent ses priorités à des fins électorales, "la Force" a pour mission de rendre les rues plus sûres, ou en tous cas de le faire croire, par des opérations si possible spectaculaires et télévisuelles. Peu importent les moyens utilisés, tant que certaines de ses méthodes, parfois à la limite de la légalité, restent officieuses, et que seuls leurs exécutants prennent le risque d'en subir les éclaboussures... Et c'est un contexte explosif qui préside aux dernières directives leur intimant de débarrasser les rues  de l'héroïne qui soi-disant y pullule : une bavure récente, ayant conduit à la mort d'un jeune afro-américain, a exhaussé la rancœur et le rejet envers la police et remonté les activistes  des mouvements civiques qui poussent à l'action. Les liens avec la communauté sont plus tendus que jamais, et les agents, contraints de composer entre l'obligation de résultat et cette délicate conjoncture, sont par ailleurs dans le collimateur des Affaires Internes, qui redoublent de zèle...

Malone forme avec ses acolytes une équipe extrêmement soudée, devenue partie intégrante de ce monde de la rue dont ils ont adopté les codes et la singulière éthique. Près de vingt ans d'immersion parmi la faune de gangsters, d'indics, de dealers et de prostituées, l'a irrémédiablement attaché à ce milieu, devenu indissociable de sa vie. Au contact quotidien de la misère, de la violence, il s'est forgé une carapace de rudesse et d'efficacité... qui résistera jusqu'à quand, face aux démons qui le hantent, à ces fantômes des victimes qu'il n'a pas pu sauver ? Rattrapé par ses erreurs, il va réaliser les entailles insidieuses qu'ont laissées en lui le chagrin, le cynisme et la colère, et assumer les conséquences du  franchissement de certaines limites...

Car Malone, à l'instar de la plupart de ses pairs, est un ripoux. Entré dans la police bardé de grands principes, il est très vite tombé dans l'engrenage d'une corruption structurelle, s'étendant à tous les niveaux du système judiciaire et politique, ancrée dans l'ADN même de la ville. Le constat de la subornation des juges et des avocats, des membres du Congrès et de certains pontes de la police, associé au danger auquel se confrontent quotidiennement les flics de terrain pour un salaire qui ne leur permettra ni de s'assurer une retraite confortable, ni de financer les études de leurs enfants, incite à céder aux tentations parfois faciles... Cela commence par un café ou un sandwich, et puis on en vient à prélever sa part sur une cargaison de drogue ou sur de l'argent sale. Pas à pas, on s'enfonce, occultant le reniement de certaines valeurs morales à l'aide de justifications diverses : il s'agit de dépouiller des criminels, de rendre une justice de terrain, pragmatique, plus efficace que celle qu'appliquent des magistrats corrompus eux aussi, ou soumis à des lois trop permissives. 

A l'issue de cette lecture, je maintiens mon jugement sur l'écriture sans flamboyance, et le style un peu facile. Cependant, je dois aussi avouer qu’étrangement, cela n'a m'a pas gênée au-delà des premières pages : "Corruption" est un récit efficace et prenant, qui à la fois nous plonge au cœur de son action, rend très prégnante l'atmosphère et l'énergie de l'univers sordide, immoral, dans lequel il nous immerge, et décrit avec une tension croissante l'effondrement annoncé de son héros, qui suscite chez le lecteur des sentiments ambivalents, mêlant sympathie, pitié et aversion...

>> D'autres titres pour découvrir Don Winslow : La griffe du chien, donc, et sa suite, Cartel.

Commentaires

  1. Encore un auteur que je ne connais pas mais tu me donnes envie de le découvrir malgré le bémol pour le style...

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    1. Disons que c'est un style qui ne s’embarrasse pas de fioritures, ce qui lui permet d'être en cohérence avec son sujet, mais qui parfois fait un peu "amateur", je trouve. Ceci dit, ce n'est pas un auteur réputé pour son lyrisme, et La griffe du chien est vraiment à lire, c'est dense et passionnant, j'ai ADORE !!

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  2. encore un auteur que je ne connais que de nom! tu me conseillerais quel livre pour commencer?

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    1. Sans hésiter La griffe du chien, tu l'auras compris...

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  3. J'aime beaucoup l'extrait que tu as choisi en début de billet. Si tout le roman est dans cet esprit, ça pourrait me parler. Parce que sinon, le titre en lui-même et les thématiques ne m'attiraient pas trop.^^
    Je commence à bien avancer dans le Liu Cixin après un début un peu laborieux. Je n'en dis pas trop pour l'instant.:-)

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    1. Oui, c'est l'esprit qui règne sur l'ensemble du récit, qui se révèle finalement très prenant, parce que les personnages sont en plus très bien brossés, dans toute leur complexité. Et je commence le Lui Cixin ce soir, je m'attends d'ailleurs à quelques passages difficiles, comme ça a été le cas pour les opus précédents... et je n'ai pas lu la 4e de couv'...

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  4. Efficace et prenant ça peut suffire parfois mais en ce moment j'ai envie d'autre chose.

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    1. Tu pourras dans ce cas le lire après sa sortie en poche, ça fait une bonne lecture de vacances...

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  5. Bonjour Inganmic, je compte bien le lire ayant bien apprécié La griffe du chien et Cartel. C'est un écrivain qui sait raconter une histoire sans perdre le lecteur. Bonne après-midi.

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    1. Bonjour Dasola, je pense que tu ne seras pas déçue, c'est un roman prenant, mais attention, il n'est pas du niveau de La griffe du chien ou de Cartel, qui sont bine plus denses et ambitieux...

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  6. Je n'ai lu qu'un roman de cet auteur et ça ne m'avait pas emballé plus que cela... Ton billet semble corroborer mon impression sur cet écrivain : ça se lit mais on peut aussi s'en passer. Le Bouquineur

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    1. Je suis allée voir ça sur ton blog : je n'ai pas lu le titre que tu évoques (Missing) mais je recommande vraiment La griffe du chien. Le style ne m'en a pas marquée, mais quelle intrigue et quelle construction ! Un roman vraiment passionnant, qui balaie trente ans d'histoire de la lutte contre la drogue aux Etats-Unis, en embrassant toutes les thématiques -géopolitiques, sociales, économiques...- qui y sont liées.

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