"La mort immortelle" - Liu Cixin
Toujours plus loin...
J'ai eu un mal fou à m'atteler à la rédaction de ce billet, et de le faire maintenant, après avoir terminé le dernier opus de la trilogie de Liu Cixin il y a bien trois semaines, ne va pas m'aider... j'ai d'ailleurs presque autant de mal à cerner les raisons de cette difficulté, liée me semble-t-il à la vague impression que l'auteur met en place des mécanismes dont la vocation est de placer le lecteur dans un état d'esprit inédit, et à mon incapacité à identifier précisément ces mécanismes.
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A l'issue du deuxième tome, les Terriens avaient contré avec succès l'invasion trisolarienne, par une technique dissuasive fondée sur l'hypothèse que le cosmos, tel une "Forêt sombre", est peuplé d'ennemis et d'envahisseurs potentiels. En menaçant de diffuser à travers l'univers les coordonnées de la Terre que les trisolariens, fuyant leur monde hostile et instable, pensaient coloniser, et en misant sur la probable destruction conséquente à cette diffusion, les hommes avaient ainsi instauré une sorte de statu quo.
"La mort immortelle" nous ramène d'abord brusquement en arrière, lors du siège de Constantinople (je n'ai d'ailleurs pas bien compris cette incursion dans le passé du prologue, avec laquelle la suite du récit ne constitue aucun lien) pour ensuite revenir à une époque où, au fil d'allers-retours, l'intrigue précise certains épisodes de la Grande Crise et de l’Ère de Dissuasion, évoquées dans le tome précédent, avant de nous propulser vers un futur de plus en plus lointain, tout cela en compagnie de Cheng Xin, une astrophysicienne que l'auteur positionne face à des choix cornéliens impliquant la survie de la civilisation, héroïne qu'il érige en symbole du devoir et de l'amour envers l'humanité. Mais je vous tais volontairement les multiples rebondissements dont Liu Cixin est encore une fois prodigue...
Ce que je peux dire avec le recul, c'est que j'ai été encore une fois complètement embarquée par l'imagination profuse de l'auteur, et sa capacité à maîtriser cette imagination pour la rendre crédible. A partir d'énigmes de la physique, l'auteur métamorphose l'impossible en évidence, utilisant la maîtrise de la vitesse luminique ou des dimensions, la création de trous noirs, ou la banalisation de l'hibernation comme combustibles d'une inventivité qui se fait même parfois poétique.
Pour en revenir à ce que j'exprimais en préambule à ce billet, et tenter d'exprimer l'étrange impression qui a régulièrement accompagné ma lecture, il m'a semblé que l'une des volontés de Liu Cixin était de nous amener au vertigineux sentiment de notre insignifiance. Bien que nous suivions tout au long du récit une héroïne qui lui sert de fil rouge, ainsi que plusieurs personnages secondaires (souvent effleurés), l'auteur se place au-delà des individualités pour embrasser une vision qui nous extrait non seulement de nos perceptions habituelles de l'espace et du temps, mais aussi de notre façon anthropomorphique de considérer notre condition et notre place dans l'univers. En étirant le fil de son récit sur plus de six siècles, et en nous faisant parfois faire de prodigieux bonds dans l'espace, il nous fait adopter un point de vue stellaire, nous faisant entrevoir l'infinité des possibles que recèle le cosmos. Plus que sur les descriptions d'un quotidien terrien futuriste, il s'attarde sur les interactions entre les différentes civilisations, et sur l'influence des êtres vivants sur la nature du monde galactique.
Un autre élément qui fait de "La mort immortelle" un texte pénétrant, c'est sa dimension obscure, dont on entrevoyait les prémisses dans "La forêt sombre". En partant du postulat de la nature malveillante ou défensive de l'univers, où toute vie est constamment en danger, il développe une vision cruelle et pessimiste qui parfois déstabilise... d'autant plus que comme dans les opus précédents, il s'appuie sur son intrigue pour aborder des thématiques philosophiquement épineuses : la survie de la civilisation justifie-t-elle le sacrifice des individus ? Quelle est la posture à adopter en cas de menace pesant sur la civilisation : le repli ou le développement ? Vivre pleinement le présent, ou se raisonner pour léguer un avenir aux générations futures ?
Mais ce que je retiendrai essentiellement de cette trilogie, c'est d'avoir été emportée dans une épopée dense et passionnante, qui m'a procuré un dépaysement total !
J'ai eu l'immense plaisir de faire cette lecture en commun avec A_girl_from_Earth : son avis est ICI.
Chouette, une référence SF ( j'en manque un peu) et en plus qui a l'air très bien :-)
RépondreSupprimerJe lis rarement de la SF également, ce qui est dommage, car j'y prends souvent du plaisir... et en plus avec ce titre, c'est un plaisir triplé, puisqu’il compte trois tomes ! Le premier est sorti récemment en poche. Dépaysement garanti !
SupprimerJ'ai lu pas mal de SF, et de la bonne, bon, peut-être pas assez pour être une spécialiste du genre mais c'est la première fois que je lis un roman qui va aussi loin dans l'imagination de l'avenir de l'humanité dans le contexte de l'immensité de l'univers en tenant compte des lois physiques et des autres civilisations extraterrestres possibles. Enfin, on voit un peu de tout ça dans les romans ou films SF mais de façon un peu classique, du genre, on est déjà 300 ans dans le futur, et ce qui s'est passé entre notre époque et le futur est plus ou moins acquis, on laisse le lecteur combler les trous à l'aide de son imagination, peu importe cet espace-temps. Là l'auteur commence son intrigue dans les années 60 en Chine et la délie quasi au fil des années en racontant l'histoire de notre planète mais aussi de l'univers quasi pas à pas. C'est un truc de fou ! À la fin j'avais même envie de crier "stop, stop ! Mais ça va s'arrêter, oui ?" J'ai été sciée aussi qu'il soit allé jusqu'à (je te le fais codé en verlan pour ne pas risquer de spoiler les visiteurs^^) reuteladeutionnamiterlex ! Pure et simple ! Sans détour, sans compromis, sans pitié, sans héros de dernière minute comme on l'aurait vu dans un film américain par exemple. Et puis ce bond des millénaires après (si je ne me trompe), c'était d'un surréaliste. Mais j'ai adoré ce pari audacieux, cette ambition narrative parce que c'est très réussi. C'est vrai que c'est une trilogie qui amène le lecteur loin, pas seulement dans le futur et l'univers, mais dans ses réflexions aussi. J'aurais pu écrire des lignes encore tellement ce roman a éveillé de choses en moi mais difficile de faire du tri dans ce qu'on a envie d'évoquer pour ne pas faire trop long, du coup je suis contente que tu aies abordé certains des éléments de réflexion que j'ai partagés, ça me fera un mémo.:-) Même là j'ai du mal à faire court !^^
RépondreSupprimerExcellent commentaire, presque un billet à part entière, et qui résume bien les sentiments qu'inspire la lecture, c'est tout à fait ça, il déroule son récit sans entraves, mais avec une maîtrise parfaite, tout est incroyable et tout se tient en même temps. Ravie d'avoir vécu cette belle expérience en ta compagnie, et rendez-vous en 2019 avec Sinisalo !
SupprimerPlaisir partagé ! Heureusement que tu es ouverte à la SF parce qu'on n'est pas très nombreuses sur la blogosphère (enfin, la blogo généraliste je dirais, car il existe bien sûr de nombreux blogueurs SF).
SupprimerTu as raison, mon commentaire est tellement long que ça fait presque un billet façon nota bene. Je l'ai rajouté en commentaire à mon billet du coup.:-)
Et un lecteur (ou une lectrice) a apporté un éclairage très intéressant sur le prologue qui nous a laissées perplexes. Il s'agirait en fait d'une allusion au concept des dimensions (l'extraction du cerveau en laissant intact le corps), mais on doit pouvoir y voir bien d'autres symboles (à la façon des contes de l'intrigue). Ça se tient.
Oui, j'ai lu son commentaire en effet, je m'étonne juste de n'avoir pas fait le lien (ça ne devait pas être flagrant ?)
Supprimerc'est moi où les titres font très roman de gare ?....
RépondreSupprimerOui, notamment celui de ce dernier opus, j'ai lu un article du traducteur français à ce sujet, qui expliquait ce choix curieux, mais je ne l'ai pas vraiment compris.... mais il ne faut pas s’arrêter à ça, ce sont d'excellents romans.
SupprimerJ'ai essayé, j'ai même lu me premier, mais je me suis beaucoup ennuyé.
RépondreSupprimerBeaucoup de théories, brillantes pour certaines, mais malheureusement pour moi les personnages n'ont aucune réalité, pas d'âme, pas de tripe, ils ne sont là que pour faire avancer l'histoire et permettre de dérouler les brillantes théories.
Et je m'aperçois que j'ai besoin de ressentir quelque chose pour les personnages d'un roman pour avancer (amitié, amour, haine, mépris, pitié, ... n'importe quoi mais quelque chose).
Donc j'ai abandonné à la fin du premier.
Je me souviens de ton billet et je comprends tes réticences puisque en effet, comme je le précise dans ce billet, et quel que soit le tome de la trilogie, l'auteur ne s'attarde pas vraiment sur ses personnages. Mais cela ne m'a personnellement pas gênée, j'ai souscrit complètement à sa vision intersidérale !
SupprimerOh vous m'aviez convaincues, et voilà Jean Marc qui douche l'enthousiasme (JM adore Pratchett, par ailleurs) Mais comme le 1 est à la bibli, je peux tenter
RépondreSupprimerOui, tente ! Et au moins tu es prévenue, il ne faut pas t'attendre à une saga basée sur ses héros..
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