LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Cent ans" - Herbjørg Wassmo

Des femmes du Nord.

C'est une histoire de famille, de femmes, et de transmission, initiée par une narratrice qui remonte le temps, un siècle avant sa naissance, à l'année 1842 qui vit celle de son arrière grand-mère, la rousse Sara Susanne. Alternant entre la vie de cette aïeule combative et lumineuse, et celle de sa plus jeune fille Elida (grand-mère, donc, de la narratrice), le récit nous entraîne du Nord de la Norvège à Kristiana (qui deviendra Oslo).

La relation minutieuse et vivante de leur quotidien nous rend ces deux femmes proches et particulièrement attachantes, en même temps qu'elle nous imprègne avec force d'un environnement très présent, primordial pour ces familles tirant leur subsistance de la pêche et de l'agriculture, soumises aux caprices du climat et aux rythmes des saisons halieutiques.

C'est d'ailleurs un commandant de bateau qu'épouse Sara Susanne. Johannes Krog, jeune homme prometteur, entreprenant et sérieux, lui a fait une cour assidue, quelque peu compliquée par un sévère bégaiement qui a fait de lui un être réfléchi et souvent silencieux. La sixième fille de Mme Lind accepte cette union à contrecœur, non pas tant en raison de la personnalité de son futur mari, que parce qu'elle comprend qu'on ne lui laisse pas le choix. Sa mère, veuve, peine à subvenir aux besoins de sa nombreuse progéniture. Elle découvre pourtant le plaisir lors de sa nuit de noces, et il s'établira au fil du temps entre les deux époux une véritable tendresse et une solide complicité.
Johannes le travailleur tient ses promesses, rachète un domaine en bord de fjord qui devient rapidement prospère. Sara Susanne, infatigable, en assure la gestion, pendant qu'il part en mer ou en ville pour y mener des négociations commerciales. Puis c'est la ronde des grossesses, le corps toujours occupé, l'existence rythmée par les cycles de neuf mois et les enfants à allaiter, à élever, des enfants qu'elle a de plus en plus de mal à désirer. Sara Susanne déprime, peu à peu s'étiole, sous le regard désespérément coupable de Johannes qui se promet à chaque fois de se retenir, mais lui comme elle ne peuvent résister au désir violent qui parfois les prend. Alors elle subit, devient absente, et lorsque, servant de modèle à l'ange que peint sur le retable de son église un pasteur fasciné par la profondeur de cette femme, qui s'intéresse à ce qu'elle est, à ce dont elle rêve, elle mesure l'espace d'un instant l'ampleur non pas de ce qu'elle a perdu, mais de ce qu'elle a toujours su ne jamais pouvoir atteindre, avant de reprendre, ses espoirs d'émancipation en berne, le cours de son existence.

Elida, la dernière des enfants de Johannes et Sara Susanne, est celle qui a fait des choix inattendus, choquants même, pour sa petite-fille de narratrice qui finalement apprend à les comprendre en s'identifiant à elle, au fil du récit qu'elle lui consacre. En opposition avec sa mère, la cadette des Krog a mis plusieurs de ses onze enfants en nourrice pour suivre son mari Fredrik à Kristiana, où se trouvait son dernier espoir de guérir d'une grave maladie cardiaque. Ces deux-là se sont mariés par amour, Elida contrant les réticences maternelles vis-à-vis de cet intellectuel peu pragmatique. Peu importe, la jeune femme l'est pour deux, et le couple, soudé par une affection mutuelle, porté par sa force à elle, sa capacité à aller de l'avant, ne vacille jamais, Elida assurant la gestion de leur ferme, en plus de tenir avec ferveur la station télégraphique qu'elle abrite, ouverture sur la modernité et sur cet extérieur auquel elle aspire, et que la maladie de Fredrik lui permet d'atteindre, en dépit de la détresse qu'elle provoque. A Kristiana aussi elle est le pilier de la famille, se mettant à la couture leur assurer des revenus, soutenant Fredrik dans son décourageant parcours médical, ses aînés l'aidant à s'occuper des plus jeunes enfants qui n'ont pas été placés.

Centré sur ses portraits ciselés de femmes remarquables, "Cent ans" rend hommage à leur force comme à leur vulnérabilité, à l'amour aussi, qu'elles donnent, chacune à sa manière, à leurs proches, tiraillées entre leurs responsabilités de mères et leur besoin d'accomplissement personnel, plombées par la culpabilité et la frustration face au constat de la facilité avec laquelle les pères ont su gagner l'affection et la confiance des enfants qu'ils n'ont pas eu le fardeau de porter.

La narratrice, fille de Hjørdis, dernière-née de Fredrik et d'Elida, fait par intermittences entendre sa propre voix, évoquant son enfance parmi des tantes et des cousins trop nombreux et trop fugacement évoqués pour que l'on s'y retrouve, adoptant alors un style qui, enfantin, casse le ton de l'ensemble, et créant autour de sa relation avec son père un mystère dont elle ne donne jamais la clé. J'avoue que lors de ses passages, il me tardait de repartir aux côtés de Sara Susanne ou d'Elida...

Un autre titre pour découvrir Herbjørg Wassmo : Le livre de Dina

Commentaires

  1. Certes elle ne donne pas explicitement la clé mais on la devine largement
    j'ai bien aimé ce roman comme à peu près tous les autres d'ailleurs

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    1. Depuis, j'ai fait quelques recherches sur internet, qui ont en effet confirmé ce que je présumais, mais disons que j'ai trouvé que ces passages auraient davantage mérité un roman à part entière (ce qui a d'ailleurs été fait) plutôt que ces insertions énigmatiques dans un récit avec lequel elles n'ont pas vraiment de rapport.

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  2. Je voudrais le lire depuis longtemps, il faut seulement que je lui fasse une place, enfin ..

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    1. C'est une bonne idée, et un roman qui en vaut vraiment la peine !

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  3. Qu'est-ce que j'ai aimé ce roman !

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    1. Cela ne m'étonne pas, il est vraiment prenant, et ses héroïnes incroyablement attachantes.

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  4. J'ai envie de découvrir par moi-même Wassmo depuis longtemps, ton article ne fait que renforcer cette envie...

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    1. La trilogie de Dina est excellente aussi, et constitue une très bonne introduction à l'oeuvre de cette auteure. Je n'ai quant à moi pas fini d'explorer sa bibliographie !

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  5. Ah, il était noté, je souligne. De l'auteure, j'avais lu La septième rencontre, une belle lecture.

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    1. Je note aussi, je n'ai pas l'intention d'en rester là ! Ma prochaine lecture sera sans doute celle de son dernier titre, Le testament de Dina (j'avais tellement aimé la trilogie éponyme).

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  6. Ah je cite mon billet
    "Ce qui manque pour en faire un coup de coeur, c'est l'incursion, même brève, de détails historiques, qui m'ont paru plaqués et n'apportent finalement rien à l'histoire. J'ajoute aussi que le confort de lecture est optimal quand on décide de ne pas retenir tous les noms des frères et soeurs et de se concentrer sur les personnages principaux. "

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    1. J'avoue ne pas avoir été gênée par le 1er bémol que tu exprimes, mais te rejoins assez sur le 2e... C'est un récit vraiment centrée sur ses héroïnes, la plupart des personnages secondaires font pâle figure à leurs côtés...

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  7. J'ai beaucoup aimé Cent ans mais tout de même moins que Le livre de Dina ! J'ai apprécié aussi la description de la vie quotidienne dans ces fjords que je suis allée visiter il y a bientôt deux ans ! Les personnages sont des femmes fortes mais moins que Dina. La clef, c'est ce que l'écrivaine a subi elle-même.

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    1. J'ai préféré moi aussi Le livre de Dina, qui est vraiment une héroïne inoubliable et atypique. Et comme je l'ai écrit en réponse au commentaire de Dominique, j'ai bien deviné ce secret qui n'est jamais dévoilé, mais j'ai trouvé qu'il ne trouvait pas vraiment sa place dans l'ensemble.

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  8. Je suis comme Aifelle. J'ai lu Dina, Benjamin ... il y a longtemps et j'ai depuis envie de me replonger dans l'univers d'Herbjorg Wassmo. Mais il faut que je lui laisse une place. Après je note que vous êtes deux à dire que c'est moins bien que Dina tout de même.

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    1. Disons que Dina est excellent, et que celui-ci est très très bon ! Je pense qu'il ne te décevrait pas...

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  9. Je n'ai lu que La véranda aveugle de l'autrice et j'avais beaucoup aimé, son univers demande du temps je trouve, il ne faut pas la lire à la va-vite!

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    1. Et du coup, tu n'as pas encore lu les deux autres titres de la trilogie ?

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  10. J'ai beaucoup de commentaires élogieux. Je note car finalement à part les polars nordiques, je connais assez peu la littérature de ces pays.

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    1. C'est pareil pour moi, d'autant plus que je ne lis quasiment aucun polar nordique (non par principe, mais parce que l'occasion ne s'est jamais vraiment présentée, sauf pour Nesbo, dont j'ai lu tous les Harry Hole, j'adore !). Parmi mes quelques lectures, j'ai toutefois gardé un très bon souvenir de Tête de chien, de Morten Ramsland (une saga familiale très vivante et drôle), et de "Montecore, un tigre unique" de Jonas Hassen Khemiri (qui est suédois).

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