"A malin, malin et demi" - Richard Russo
"S'il existait un Dieu, sa principale distraction, apparemment, consistait à jouer avec les petits connards qu'il avait créés sans qu'on lui demande rien".
Après "Le déclin de l'empire Whiting", je continue ma découverte de Richard Russo à l'occasion d'une lecture commune avec The Autist Reading. Le plaisir a été, pour la seconde fois, au rendez-vous...
Nous sommes parachutés dans le cimetière de Bath, bourgade du nord de l'état de New York, où l'on enterre le juge Barton Flatt, individu détestable si l'on se fie aux réflexions exprimées in petto à propos du défunt par Raymer, chef de la police, davantage préoccupé par la télécommande de porte de garage qu'il a dans sa poche et par l'incongruité de la tunique arborée par le prêtre en charge de la cérémonie, que par cette dernière, sur laquelle l'auteur s'attarde pourtant pendant des pages et des pages, histoire de nous familiariser avec les personnages présents, de placer quelques pièces du puzzle qu'il va minutieusement élaborer sous nos yeux...
Le brouillon de mon billet dressait ensuite plus ou moins la liste de ces protagonistes, leurs caractéristiques et leur positionnement dans l'intrigue, établissait les relations les liant les uns aux autres... puis j'ai dû admettre qu'il était dommage de trop en dévoiler sur le récit et ses acteurs, l'un des principaux plaisirs de cette lecture consistant à découvrir la richesse de sa galerie de personnages et à savourer la succession d'événements insolites qui viennent percuter leur existence.
Richard Russo aime, en effet, nous surprendre, et je ne voudrais pas saper son travail... il utilise (entre autres) pour cela une tactique consistant à nous confronter sans crier gare au moment le plus cocasse d'épisodes dont il n'explique qu'ensuite le contexte, suscitant régulièrement chez le lecteur un étonnement déstabilisant mais aussi très stimulant. Associé à la multiplicité des rebondissements parfois improbables qui ponctuent l'intrigue (parmi lesquels une escapade reptilienne ou encore l'irruption sur une route de cercueils exhumés de leur colline par les intempéries), ce procédé contribue à rendre le récit passionnant, animant de manière palpable la communauté dont Richard Russo brosse le portrait, et tisse les interactions unissant ses membres.
Comme dans "Le déclin de l'Empire Whiting", nous avons ici affaire à une de ces bourgades n'ayant guère de perspectives à offrir à ses citoyens, bien que dans le cas de Bath, dont il est question, on ne parlera pas vraiment de déclin, dans la mesure où il n'y a jamais vraiment eu croissance. Le dernier projet en date pour dynamiser la ville, celui d'un grand Parc d'attractions initié une décennie auparavant, a avorté, conduisant à "l'âge d'or de la haine de soi et du pessimisme fiscal". Et puis Bath a toujours souffert de la comparaison avec sa voisine Schuyler Springs, jumelle plus belle et rivale héréditaire, possédant tout ce qu'il lui manque et à quoi elle aspire : une économie dynamique, une population instruite, des touristes, des restaurants chics... Même la source qui lui a donné son nom a tari alors que celle Schuyler continue à jaillir de manière provocante... le comble est atteint à la montée estivale du thermomètre, lorsque la célèbre "infâme puanteur de Bath", dont se délectent la presse locale, lui impose des étés putrides.
A l'image de leur commune malchanceuse et condamnée à la médiocrité, ses habitants sont comme englués dans les mauvais hasards, mais s'agit-il vraiment de cela, ou bien ne font-ils que subir les conséquences de leur manque de courage et de leurs choix irréfléchis ? A moins qu'ils ne soient que les victimes impuissantes des névroses qui les gouvernent ? La plupart aspirent à la paix, ou à être quelqu'un d'autre, et semblent souvent sincères dans leurs efforts pour atteindre ces buts, mais ils sont obstinément à côté de la plaque, fourvoyés par leur illusoire quête de perfection et l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, se condamnant au mal-être que suscite l'impression que la principale tâche du monde étant de vous décevoir, en remettant sans cesse en question vos rassurantes certitudes, vous ne serez jamais à la hauteur.
C'est avec beaucoup de tendresse, tout en déployant un humour exhaussant leur dimension pathétique, que Richard Russo met en scène ses héros, et les rend remarquables en mêlant habilement caricature et complexité. Ce qui l'intéresse, c'est de creuser les failles, de décortiquer les obsessions et de jouer sur les bizarreries, de témoigner de la manière dont ils se débattent dans le bourbier de leur pessimisme ou de la mésestime de soi, heureusement parfois avec succès...
Comme dans "Le déclin de l'Empire Whiting", nous avons ici affaire à une de ces bourgades n'ayant guère de perspectives à offrir à ses citoyens, bien que dans le cas de Bath, dont il est question, on ne parlera pas vraiment de déclin, dans la mesure où il n'y a jamais vraiment eu croissance. Le dernier projet en date pour dynamiser la ville, celui d'un grand Parc d'attractions initié une décennie auparavant, a avorté, conduisant à "l'âge d'or de la haine de soi et du pessimisme fiscal". Et puis Bath a toujours souffert de la comparaison avec sa voisine Schuyler Springs, jumelle plus belle et rivale héréditaire, possédant tout ce qu'il lui manque et à quoi elle aspire : une économie dynamique, une population instruite, des touristes, des restaurants chics... Même la source qui lui a donné son nom a tari alors que celle Schuyler continue à jaillir de manière provocante... le comble est atteint à la montée estivale du thermomètre, lorsque la célèbre "infâme puanteur de Bath", dont se délectent la presse locale, lui impose des étés putrides.
A l'image de leur commune malchanceuse et condamnée à la médiocrité, ses habitants sont comme englués dans les mauvais hasards, mais s'agit-il vraiment de cela, ou bien ne font-ils que subir les conséquences de leur manque de courage et de leurs choix irréfléchis ? A moins qu'ils ne soient que les victimes impuissantes des névroses qui les gouvernent ? La plupart aspirent à la paix, ou à être quelqu'un d'autre, et semblent souvent sincères dans leurs efforts pour atteindre ces buts, mais ils sont obstinément à côté de la plaque, fourvoyés par leur illusoire quête de perfection et l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, se condamnant au mal-être que suscite l'impression que la principale tâche du monde étant de vous décevoir, en remettant sans cesse en question vos rassurantes certitudes, vous ne serez jamais à la hauteur.
C'est avec beaucoup de tendresse, tout en déployant un humour exhaussant leur dimension pathétique, que Richard Russo met en scène ses héros, et les rend remarquables en mêlant habilement caricature et complexité. Ce qui l'intéresse, c'est de creuser les failles, de décortiquer les obsessions et de jouer sur les bizarreries, de témoigner de la manière dont ils se débattent dans le bourbier de leur pessimisme ou de la mésestime de soi, heureusement parfois avec succès...
Tout cela fait de "A malin, malin et demi" un roman à la fois drôle, profond et touchant.
A lire !
L'avis de The Austist Reading, que je suppose d'accord avec moi, puisque nous avons déjà convenu de nous retrouver, d'ici quelques mois, autour d'une autre LC de Richard Russo !
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