"L'accordeur de silences" - Mia Couto
"La première fois que j'ai vu une femme j'avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j'ai fondu en larmes".
Ainsi débute "L'accordeur de silences", récit porté par une poésie et une mélancolie que laissent d'emblée entrevoir cette entame et son si joli titre.
C'est la voix de Mwanito qui nous guide tout au long de l'étrange aventure à laquelle nous convie Mia Couto. Sa mère meurt l'année de ses trois ans. Empruntant le chemin inverse de ceux qui quittent la campagne en guerre pour se réfugier dans la misère urbaine, son père, Silvestre Vitalício, les emmène alors, son frère et lui, vivre loin des villes des hommes, dans un coin perdu qu'il a baptisé "Jésusalem". Ils y sont accompagnés de leur serviteur Zacaria, ancien militaire traumatisé par la guerre, et de Jezibela, ânesse "tellement humaine qu'elle (noie) les divagations sexuelles de (son) vieux père".
Silvestre leur a expliqué que c'en était fini du monde, qu'ils en étaient les derniers survivants, à une exception près : leur oncle Aproximado, qui vit, au-delà de la distance autorisée, de "l'autre Côté", et qui de temps en temps, leur rend visite et les ravitaille. Il a instauré dans ce no man's land son propre territoire, sans église ni politique, un monde du renoncement où oublier la douleur, les remords, et une guerre dont il ne veut plus entendre le moindre écho... Un monde avec ses interdits : lire et écrire, prier, parler des femmes -"toutes des putes"-, évoquer des rêves ou des souvenirs autres que ceux que leur père allume dans leur tête, et ses obligations sacrées : assister au lever du soleil, embrasser la terre au moment du coucher... leur père s'érigeant en dieu de cet univers restreint, les élevant "avec soins et prévenances mais sans tomber dans la tendresse".
Qu'est-ce qui a motivé cette volonté de s'extirper du monde, pour trouver refuge dans un endroit où personne ne se souviendrait d'eux, au risque, à terme, de perdre soi-même la conscience de sa propre identité ? Que fuit Silvestre ? Un monde corrompu par la violence dont il souhaite protéger ses enfants ? La culpabilité d'un acte innommable ? Quelles sont ces colères que l'aide à noyer Mwanito grâce à son don pour épurer les silences, les faire entendre à son père qui en tire quelques moments de paix ? Ntunzi, le frère aîné, en est d'ailleurs un peu jaloux, même s'il n'en veut pas à son cadet. La préférence de Silvestre pour ce dernier est évidente, et la dureté dont il fait preuve envers Ntunzi a poussé ce dernier à le haïr et à se consacrer à un projet secret : fuir Jésusalem.
Qu'est-ce qui a motivé cette volonté de s'extirper du monde, pour trouver refuge dans un endroit où personne ne se souviendrait d'eux, au risque, à terme, de perdre soi-même la conscience de sa propre identité ? Que fuit Silvestre ? Un monde corrompu par la violence dont il souhaite protéger ses enfants ? La culpabilité d'un acte innommable ? Quelles sont ces colères que l'aide à noyer Mwanito grâce à son don pour épurer les silences, les faire entendre à son père qui en tire quelques moments de paix ? Ntunzi, le frère aîné, en est d'ailleurs un peu jaloux, même s'il n'en veut pas à son cadet. La préférence de Silvestre pour ce dernier est évidente, et la dureté dont il fait preuve envers Ntunzi a poussé ce dernier à le haïr et à se consacrer à un projet secret : fuir Jésusalem.
En attendant, la vie s'écoule au rythme d'un présent comme suspendu, que sa restitution par Mwanito colore d'une atmosphère onirique, énigmatique.
Jusqu'au jour où une femme fait son apparition dans ce microcosme hors du monde...
Jusqu'au jour où une femme fait son apparition dans ce microcosme hors du monde...
"L'accordeur de silences" est un très beau texte, riche d'images enchanteresses, d'émotion communicative. Malgré son sombre propos, il en émane une lumière envoûtante. L'amour s'y mêle naturellement à la folie, le courage à la détresse, la douceur persévérante des femmes et la magie de l'imaginaire enfantin s'y oppose à la violence des hommes... On n'y comprend pas tout mais peu importe, se laisser porter par la musique de l'écriture de Mia Couto est une fin en soi, l'occasion d'un voyage dont je suis personnellement ressortie éblouie...
J'ai aimé ce roman moi aussi, je me souviens d'une très belle écriture et d'une histoire particulière.
RépondreSupprimerJe rajoute un lien vers ton billet, qui m'avait échappé, et que je trouve très juste..
SupprimerMisère, ce roman m'attend depuis une éternité sur mes étagères... Merci pour ce rappel motivant.
RépondreSupprimerN'hésite plus, l'écriture de Mia Couto est un régal !
SupprimerTrès joli titre en effet ! Pour le reste, je me demande si je me laisserais séduire par sa lumière envoûtante...
RépondreSupprimerIl faut essayer, on n'a pas si souvent l'occasion d'une incursion au Mozambique..
SupprimerIl m'intéresse fort ce texte. Le titre est très suggestif.
RépondreSupprimerC'est ce qui m'a attirée en premier... je recherchais des titres africains, et je suis tombée sur cet ouvrage en bouquinerie, un hasard qui a tenu toutes promesses !
Supprimertrès joli titre qui donne déjà envie... Et le texte a l'air bien donc à noter :-)
RépondreSupprimerAbsolument ! Une belle découverte, et un texte original.
SupprimerJe suis comme Marilyne. Je l'ai acheté à sa sortie et depuis il attend sagement. D'après ce que tu en dis, j'ai bien fait de l'acheter, ça a l'air très bien !
RépondreSupprimerOui, ça l'est, l'écriture de Mia Couto a une musicalité particulière, envoûtante, et son histoire est vraiment atypique. Je pense qu'il te plaira..
SupprimerAh oui, repéré depuis un moment ! Ton avis me confirme que le roman vaut le détour. J'espère pouvoir le caser rapidement !
RépondreSupprimerC'est drôle, je réalise que ce titre avait été remarqué par plusieurs lectrices, alors que je suis tombée dessus par hasard, sans en avoir jamais entendu parler. Ceci dit, tant mieux, la découverte n'en a été que plus merveilleuse !
SupprimerJ'ai très très envie de me laisser séduire.
RépondreSupprimer«On n'y comprend pas tout mais peu importe, se laisser porter par la musique de l'écriture...» C'est précisément ce qui vient de m'arriver avec "Automne" d'Ali Smith.
Je me sens d'attaque pour me laisser emporter à nouveau!
Super ! Je m'en vais lire de suite ton avis sur le roman de cette/cet (?) Ali Smith, que je ne connais pas du tout..
SupprimerBon, j'ai bien fait de prendre le temps de relire ton résumé ... J'allais passer parce que à première lecture, je me suis dit, "Ah ! encore une dystopie" ... Je sature ... Et puis, non, finalement. Tu confirmes ?
RépondreSupprimerOui, je confirme, on pourrait croire au début de la lecture qu'il s'agit d'une dystopie, en effet, mais non, c'est bien ancré dans le réel... c'est juste que le narrateur, placé dans un contexte particulier, a une vision du monde différente.. mais c'est vraiment très bien écrit, je me suis régalée !
SupprimerDonc, je note. Sept titres en deux notes, tu ne trouves pas que tu exagères quand même ! Je ne vais pas pouvoir suivre ton rythme !
SupprimerC'est un prêté pour un rendu. Figure-toi que quand je fais un tour en librairie, c'est toujours avec ton TOP 100 imprimé dans ma poche !!
SupprimerCe titre!... Il serait parfait pour un album jeunesse… Et ton billet est déjà très dépaysant, et fort séduisant!
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il est enchanteur. J'espère que tu te laisseras séduire...
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