LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le septième jour" - Yu Hua

"On n'a même plus les moyens de mourir !"

Le narrateur, Yang Fei, vient de mourir. Trop pauvre pour acquérir une sépulture, il ne peut se faire incinérer. Il erre alors dans un entre-deux où il rencontre des défunts coincés comme lui dans ces limbes, et retourne parfois sur des lieux évoquant des épisodes de sa vie.

Directement expulsé du ventre de sa mère sur les rails d'un train en marche, il fut recueilli par un jeune employé de gare qui n'hésita pas à sacrifier sa vie sentimentale pour préserver l'inaltérable et tendre relation l'unissant à ce fils adoptif. Après ses études, employé d'une grande entreprise, Yang Fei contracta une union inespérée mais brève avec une beauté intelligente et ambitieuse qui malgré son affection pour lui, ne put se résoudre à la médiocrité sociale à laquelle la condamnait son insignifiant époux. Il ne se remaria jamais, menant une existence sans éclat mais sereine, jusqu'à ce que son père tombe malade. Il quitta alors son travail et vendit son appartement pour s'en occuper. Peu de temps avant la mort de Yang Fei, afin de libérer son fils de la charge qu'il représentait pour lui, son père disparut.

Ceux dont il fait connaissance dans l'antichambre de l'au-delà représentent, comme lui, le "petit peuple" d'une Chine gangrenée par la misère et la corruption. Gagnée par la modernité consumériste, la société chinoise en subit les corollaires, les inégalités croissantes rendant encore plus précaire l'existence des moins nantis. Les destins pathétiques des personnages en illustrent les effets concrets. Un fiancé se voit contraint de vendre un rein à un réseau clandestin de trafic d'organes pour pouvoir payer une sépulture à sa fiancée. Acculée par les dettes pour avoir nourri à crédit des années durant une kyrielle d'employés municipaux ou d'entreprises ayant fait faillite, une famille de restaurateurs meurt dans l'incendie de son établissement, qu'elle n'avait plus les moyens d'entretenir. Certains défunts sont sans sépulture car leur mort a été dissimulée par les autorités. Ainsi ce couple enseveli dans les décombres d'un immeuble détruit dans le cadre d'une politique du logement consistant à vider de leurs occupants des bâtisses considérées comme trop vétustes pour en céder les terrains à des promoteurs aux dents longues. Ainsi ces vingt-sept bébés dont les cadavres ont été jetés avec les déchets de l'hôpital où leurs mères avaient subi des avortements forcés...
...
Les épisodes évoqués en une macabre succession, inspirés pour beaucoup de faits réels -morts causées par des affaissements de terrain ou des accidents de la circulation, provoquées par l'incendie d'un centre commercial ou une explosion...- donnent le sentiment que ces citoyens côtoient la mort en permanence, qu'elle peut surgir à chaque coin de rue. Il règne à l'inverse au sein des limbes où erre Yang Fei une paix et un esprit de fraternité témoignant d'un abandon de la violence du monde des vivants.

Sans doute convient-il de saluer l'évidente volonté de Yu Hua de pointer l'absurdité inique d'un système. J'ai apprécié la limpidité de son écriture, qui rend la lecture agréable, et j'ai trouvé certains passages très touchants, notamment ceux qui mettent en scène le lien qui unit Yang Fei à son père. Mais je n'ai pas vraiment été emportée, dans l'ensemble, par ce récit qui, constitué d'une accumulation d'anecdotes, en perd en profondeur et en acquiert une structure un peu confuse.



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Commentaires

  1. J'en ai profité pour lire tes billets sur le même auteur. e vendeur de sang me tente bien...

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    1. Ce n'est pas mon préféré (c'est Brothers, qui occupe la 1e place du podium !), mais j'en garde un bon souvenir, et comme il est relativement court, c'est sans doute un bon titre pour découvrir cet auteur et son univers..

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  2. Je ne suis jamais portée vers la littérature asiatique. Quelque chose dans l'écriture a tendance, généralement, à me tenir en bord de chemin... Le pitch était plus qu'intéressant. C'est bête, mais si l'auteur aurait été français, américain, etc, j'aurai craqué! Je devrais peut-être dépasser mes a-priori...

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    1. Je lis moi aussi assez peu de littérature asiatique, si l'on excepte le japonais Murakami et j'ai récemment découvert des auteurs coréens qui m'ont bien plu... c'est vrai que l'écriture des auteurs asiatiques est assez reconnaissable, elle est souvent factuelle, et un peu désincarnée. Je ne sais pas si c'est dû à un ancrage culturel, ou à la traduction... maintenant, si tu décides de découvrir Yu Hua, je te conseillerais plutôt de le faire avec Brothers, qui est vraiment un grand roman, dense (mais très facile à lire), et surtout très drôle...

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  3. C'est certainement bien de parler de tous ces problèmes là, mais ce n'est pas ce que j'ai envie de lire ces temps-ci.

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    1. J'ai l'impression de lire un peu le même commentaire que celui que tu as laissé sur Sciences morales... L'arrivée de l'automne, et la météo pluvieuse te donnent des envies d'évasion plus légère, sans doute ?!...

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    2. Je crois que tu as raison ! En plus, étant rouennaise et ayant frôlé la catastrophe totale, le quotidien est quand même encore lourd en ville, alors je cherche du plus léger. Le paradoxe, c'est que ce que je trouve de plus distrayant, ce sont des polars, qui en général ne manquent pas d'horreurs, mais ce n'est pas pareil, je peux me dire que c'est de la pure fiction ;-)

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    3. Je vois ce que tu veux dire quand tu parles de "polars distrayants", le côté fiction, ajouté à l'addiction provoquée par l'effet "suspense", permettent une forme d'évasion assez puissante...

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  4. Celui là ne me tente pas trop ...
    Mais j'ai trouvé Brothers tout récemment dans la boite à livre de mon village ....

    Bonne journée Ingannmic

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    1. Ah, oui, Brothers est excellent, j'espère que tu passeras à sa lecture un aussi bon moment que moi (et Athalie aussi, d'ailleurs, avec laquelle je l'avais lu en commun, et qui avais aussi beaucoup aimé, si je me souviens bien...).

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  5. Un auteur chinois à découvrir donc mais peut-être pas avec ce roman-ci en premier.

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    1. Tu as très bien résumé... Je te conseille Brothers, qui est excellent. Sinon, je crois que le roman le plus célèbre de cet auteur est "Vivre !" que je n'ai pas lu, et dont a été tiré un film.

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  6. Merci pour ce billet. J'aime beaucoup la littérature asiatique, mais il y a tant d'auteurs, de pays à découvrir!...

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    1. Brothers, de cet auteur, est incontournable. Toi qui aimes Hilsenrath, tu devrais apprécier son ton féroce et cocasse..

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  7. Je crois n’avoir jamais lu d’écrivains chinois, si tu as d’autres conseils je suis preneur (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Eh bien, à part Brothers, de ce même Yu Hua, je ne sais pas trop quoi te conseiller car je lis très peu de littérature chinoise. Mo Yan, dont j'ai lu deux titres, m'a déçue et sinon, j'ai lu l'an dernier la trilogie de Liu Cixin, que j'ai adorée, mais c'est de la SF, je ne sais pas si tu es amateur du genre ?

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    2. Je vais regarder ça, merci. Il m’arrive d'en lire... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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  8. Ce que j'adore quand je viens sur ton blog, ce sont tous ces titres et auteurs dont je n'avais jamais entendu parler avant :) alors merci beaucoup pour ces découvertes !

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    1. Mais de rien, c'est un peu le but des blogs ! Si tu en as l'occasion, lis Brothers, c'est un roman à la fois riche et réjouissant.

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  9. J'ai l'impression d'avoir plus apprécié ce roman que toi ;-)
    Brothers est plus flamboyant, j'en garde aussi un excellent souvenir. Et j'ai encore Le vendeur de sang dans ma PAL.

    Merci pour le lien, ça fait toujours plaisir ! Je constate que ta vitesse de lecture ne faiblit pas, contrairement à moi... j'ai même l'impression d'avoir plus de difficultés à trouver une lecture captivante qu'auparavant. Etrange sensation depuis des mois.

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    1. J'ai vu que tu étais en effet beaucoup moins active qu'avant... du moins sur ton blog ! J'espère que tu vas vite retrouver du plaisir à tes lectures..
      Quant à ce roman, je l'ai trouvé agréable à lire, mais tellement en-dessous de Brothers...
      Il me reste à découvrir "Vivre" de ce même auteur.

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