"Un homme presque parfait" - Richard Russo
"La vie, c'est comme les pipes, convint sérieusement Ruby. C'est toujours moi qui suis du côté où ça gicle".
J'étais vraiment curieuse, excitée même, à l'idée de découvrir "Un homme presque parfait". Et c'est à l'homme que je pensais, non au roman ainsi intitulé. Bigre... Richard Russo allait sans doute me faire rencontrer une perle rare ! Mais j'ai vite compris que le terme le plus important du titre était "presque"... que ce qui intéresse surtout Richard Russo, ce sont les imperfections, les béances où les êtres se perdent, les doutes qui les assaillent, les bagages immatériels et pourtant si lourds qu'ils traînent avec eux. Et finalement, je dois bien avouer que moi aussi, c'est ce qui m'intéresse, parce que je n'ai jamais rencontré la perfection, mais j'imagine qu'elle est chiante à mourir...
J'étais vraiment curieuse, excitée même, à l'idée de découvrir "Un homme presque parfait". Et c'est à l'homme que je pensais, non au roman ainsi intitulé. Bigre... Richard Russo allait sans doute me faire rencontrer une perle rare ! Mais j'ai vite compris que le terme le plus important du titre était "presque"... que ce qui intéresse surtout Richard Russo, ce sont les imperfections, les béances où les êtres se perdent, les doutes qui les assaillent, les bagages immatériels et pourtant si lourds qu'ils traînent avec eux. Et finalement, je dois bien avouer que moi aussi, c'est ce qui m'intéresse, parce que je n'ai jamais rencontré la perfection, mais j'imagine qu'elle est chiante à mourir...
Donald Sullivan, dit Sully, serait surement de cet avis. Ce sexagénaire entretient en permanence un précaire équilibre entre stabilité et catastrophe, tant il s'acharne à saboter toute chance d'améliorer sa vie, d'accéder à quelque confort ou à quelque tranquillité. Il vit seul, séparé depuis longtemps de son ex-femme Vera, et de son fils Peter, devenu lui-même père de deux enfants. Il n'a jamais vraiment su s'y prendre avec ses émotions, ses responsabilités familiales, ignorant son fils, l'oubliant pendant des mois d'affilée... sa mise à l'écart du foyer par Vera lui a finalement servi de prétexte pour conserver sa liberté, et se dégager du fardeau supposé de l'affection.
Une blessure mal soignée au genou lui impose une inactivité qu'il supporte mal, d'autant plus que les efforts de son avocat pour lui obtenir une pension d'invalidité semble voués à l'échec. Or, Sully a besoin d'argent pour faire face à ses maigres dépenses quotidiennes, et parce qu'il sait ne pouvoir compter sur la retraite que lui procurera une carrière majoritairement non déclarée. Mais il n'est du genre ni à s'appesantir sur des regrets, ni à dépendre de qui que ce soit. Obstiné à gagner le peu d'argent qu'il lui faut pour vivre, il se remet donc à travailler, au noir.
Ils sont pourtant nombreux à l'aimer, cet homme qui ne fait attention à rien, dont le seul dessein est de continuer à avancer au mépris de toute raison, qui se cause du tort en toute conscience, mais ne peut s'en empêcher, "porté par la sensation enivrante, même si elle est fausse, de refaçonner le réel". Il y a sa logeuse Miss Beryl, octogénaire minuscule, à l'esprit indépendant et acéré. Cette ancienne professeure de quatrième, qui a connu Sully adolescent, comme la quasi totalité des habitants de North Bath ayant dépassé la trentaine, "admire l'attachement féroce et loyal dont il fait preuve envers les innombrables erreurs qui composent son existence excentrique et solitaire". Il y a Ruth, sa maîtresse depuis dix ans, ou encore Rub, ami fidèle, un peu simplet et très collant, que Sully passe son temps à charrier (mais qu'il est un des rares à supporter). Même le second mari de Vera l'apprécie. Même son petit-fils Will, qui le connait pourtant très peu, et qui trouve qu'il ressemble à un meurtrier en série boiteux, recherche sa compagnie...
Avec son fils Peter, c'est une autre paire de manches... ce dernier traverse une période de sa vie quelque peu bancale. L'université où il exerce comme professeur ne l'a pas titularisé, sa femme le quitte, sa maîtresse le harcèle, et il est criblé de dettes... Hésitant sur l'orientation à donner à son existence, il décide de travailler avec son père. Les rapports sont au départ distants, plombés par la rancune qu'a laissée la négligence de Sully. Mais peu à peu, père et fils se (re)découvrent.
"Un homme presque parfait" est une fresque peuplée de multiples personnages, dont l'auteur orchestre les interactions et évoque les caractères avec tendresse et minutie, décortiquant les causes des peurs, explore les raisons profondes des angoisses, les raisons de leurs comportements.
Quant à la toile de fond, ceux qui ont lu "A malin, malin et demi" la connaissent déjà puisque "Un homme presque parfait" nous ramène, une vingtaine d'années auparavant, à North Bath, bourgade de l'état de New-York, mais qui ne bénéficie guère du rayonnement de cette dernière. Après une brève heure de gloire due aux sources thermales découvertes à la fin du XIXème siècle, la ville a décliné peu à peu. Depuis elle végète, exclue du trajet de la nouvelle interstate reliant la capitale de l'état aux autres communes du coin, lorgnant la réussite de sa florissante rivale Schuyler Springs avec une aigreur envieuse. Le projet de construction d'un parc d'attraction apporte pourtant un espoir de renouveau, et comme un regain d'amour-propre pour ceux -banquier ou entrepreneur- qui y voient l'occasion de redorer l'image de Bath, et de se remplir les poches...
Le récit est dense, à la fois ancré dans le présent et enrichi de digressions évoquant des épisodes du passé, qui mettent en lumière héritages traumatiques et genèses des obsessions. Il y est beaucoup question de liens familiaux et de transmission, des responsabilités conséquentes, de culpabilité... Car ceux qui y évoluent ne sont ni des héros ni des monstres, mais des gens comme vous et moi, qui font souvent ce qu'ils peuvent, se montrent pitoyables ou attachants, parfois d'une réjouissante excentricité (je suis tombée sous le charme discret mais très piquant de Miss Beryl), parfois d'un courage étonnant...
Et surtout, l'ensemble est empreint d'un humour porté par des dialogues savoureux où l'ironie affleure en permanence, et par une cocasserie et un sens de la dérision qui allègent même les situations les plus tragiques.
Encore une belle lecture due à cet auteur que je découvre peu à peu, que j'ai eu l'immense plaisir de faire en commun avec The Autist Reading, Marie-Claude, A_girl_from_earth (qui a lu A malin, malin et demi) et Electra.
D'autres titres pour découvrir Richard Russo :
J'ai lu les deux, dans l'ordre, le bonheur. Et actuellement je suis dans Le pont des soupirs, qui n'avance pas, mais ce n'est pas parce que je n'aime pas;.; J'aime cet auteur!!!
RépondreSupprimerEt bien, je n'ai lu pour l'instant que trois de ses titres mais je n'en ai pas terminé avec lui, je l'aime déjà aussi !
Supprimeroh merci ! merci ! un grand moment de lecture ! impossible en te lisant de ne pas revoir certaines scènes ! j"adore ce genre de roman et j'ai hâte de le prêter à ma famille
RépondreSupprimertiens j'ai publié la phrase juste avant la tienne ' "porté par la sensation enivrante, même si elle est fausse, de refaçonner le réel"" oui il fonce même en sachant que ce n'est pas la bonne décision (la voiture par exemple, le coup de poing...) c'est si bon !
Oui, j'ai trouvé qu'elle révélait très justement le personnage. J'espère que nous aurons l'occasion d'autres LC aussi fructueuses !
SupprimerJ'espère aussi! Surtout si elles sont aussi enthousiasmantes.
SupprimerTant de belles personnes qui apprécient Russo et moi qui ne l'ai toujours pas lu. Je vais essayer de remédier à cette grave lacune très bientôt.
RépondreSupprimerJe n'ai fait sa connaissance qu'en 2019... mais j'ai déjà lu trois de ses titres, qui plus est des pavés, c'est significatif... Dépêche-toi de le découvrir à ton tour, je suis sûre que tu ne le regretteras pas.
SupprimerUne fois le roman terminé, je me suis demandé si j'avais "perdu" quelque chose d'avoir d'abord lu la "suite", mais je ne pense pas. Je crois même que j'ai trouvé la suite plus enlevée. Le fait de connaître déjà les personnages m'a peut-être aidé à mieux apprécier la mise en place du départ...
RépondreSupprimerD'avoir lu les deux titres "dans le désordre" ne m'a pas gênée non plus, j'étais même contente de faire la connaissance d'une Miss Beryl bien vivante.. je te rejoins sur le fait que le deuxième opus est plus "enlevé", même si je les ai vraiment aimés tous les deux..
SupprimerJe l'ai lu que "ailleurs" de lui et je ne demande qu'à recommencer .. mais quand ? Quand je pense qu'en janvier on repart pour 500 parutions sans doute, ça me donne le vertige.
RépondreSupprimerJe lis assez peu de nouveautés, je préfère me consacrer à ma PAL déjà gigantesque, et je fais preuve d'opportunisme et d'un peu de fainéantise : j'attends de voir ce qui ressort de la rentrée littéraire une fois qu'elle a fait le tour des blogs que je visite ! En tous cas, je t'incite fortement à faire une petite place dans ton planning de lectures à ce titre, puis à sa suite, tout aussi excellente.
SupprimerTon «opportunisme» est tout à ton honneur. Les choix littéraires sont si intéressants, ici...
SupprimerUn de mes auteurs "chouchou" même si je n'ai pas encore lu ce roman (mais la suite, oui !)
RépondreSupprimerTu as donc fait comme The Autist et moi, tu as commencé par la "fin", mais ce n'est vraiment pas gênant, tu peux te lancer sans crainte dans cet "Homme presque parfait", avec l'assurance de passer un excellent moment, puisque tu aimes cet auteur. Tu as un titre à me conseiller, pour continuer sa découverte ?
SupprimerTu as l'embarras du choix : Mohawk, Quatre saisons à Mohawk, Le déclin de l'empire Whiting, Les sortilèges du Cape Cod ou des nouvelles avec Trajectoire ! ;-)
SupprimerMerci pour cette palette ! J'ai déjà lu -et beaucoup aimé- Le déclin de l'empire Whiting. Visiblement, le prochain sera Le pont des soupirs, c'est le titre qui se profile pour notre LC de mars..
SupprimerInoubliable Sully ! Pour moins c'est de loin le meilleur roman de Russo.
RépondreSupprimerJ'ai aimé les trois que j'ai lus, et il me serait difficile d'en choisir un...
Supprimeril y a déjà un bon moment que je veux découvrir cet auteur, je vais noter les deux :-)
RépondreSupprimerC'est une excellente idée !
Supprimer"Et surtout, l'ensemble est empreint d'un humour porté par des dialogues savoureux où l'ironie affleure en permanence, et par une cocasserie et un sens de la dérision qui allègent même les situations les plus tragiques." Mais c'est tellement ça que j'aime chez cet auteur (parmi tant d'autres choses que tu évoques très bien) ! Vous me donnez tous envie de me jeter sur ce roman maintenant ! En plus, je suis particulièrement curieuse de cette Miss Béryl.:) Merci à Autist et toi de m'avoir donné l'impulsion d'enfin découvrir cet auteur dont on ne se lasse vraiment pas !
RépondreSupprimerOui, oui jette-toi sur cette suite, Miss Béryl est ... unique ! Merci à toi de nous avoir accompagnés, je crois que c'est la première fois que je participe à une LC avec autant de lecteurs aussi ponctuels au RDV fixé !
SupprimerTrès beau billet, bien inspiré (et inspirant). Tu m'aurais donné envie de courir à la librairie pour mettre la main dessus.
RépondreSupprimerJe préfère, comme toi, les hommes presque parfaits aux hommes parfaits!
Maintenant, à moi la suite, avec "A malin, malin et demi"
Quelle chance, tu verras, il est aussi excellent que celui-là !
SupprimerBen me voilà partie pour une belle session de rattrapage, là ....
RépondreSupprimerRusso est fait pour toi, n'hésite pas à te lancer !
Supprimer