"Un Apostolat" - Albert t’Serstevens
"La claire enfance qui les avait conduits perdait de son sourire ingénu".
Nous avons là un groupe d’amis emmenés par Chapelle, leur aîné, meneur charismatique et emphatique, composé d’un poète, Verd, et de sa petite amie, de Krabelinckx, peintre bruxellois, épicurien s’il en est -et accessoirement double de l’auteur-, de Firmin Lhommel, petit homme pusillanime et inquiet, besogneux jusque dans sa manière d’adhérer aux idéologies, et enfin de Pascal Marin, qui deviendra par la suite le personnage central de cette histoire.
Dégoûtés d’un monde corrompu, dominé par le capital et le profit, nos compères, influencés par l’utopie communiste et grâce à l’opportun héritage que Pascal doit au décès de son père, quittent Paris pour s’installer dans la Sarthe, où il créent un phalanstère, sorte de communauté basée sur le partage et la mise en commun des fruits du travail de chacun, où effacer les inégalités sociales. Las ! l’harmonie et l’enthousiasme sont bientôt pervertis par les premières discordes, l’incapacité du groupe à travailler la terre (et donc à acquérir son autonomie), et l’expression des individualités -le despotisme de Chapelle ou l’indépendance de Krabenlickx entre autres- qui les poussent à se dépouiller peu à peu de leurs valeurs libertaires.
Suite à cet échec, Pascal Marin part à Londres, grossissant la horde de prophètes -religieux, prosélytes et escrocs- qui haranguent les quidams sur la voie publique. Cette deuxième partie est particulièrement poignante, car consacrée à la perte de ses illusions par un homme qui réalise avoir été victime de espérances et mesure l’inanité d’idéologies fondées sur le postulat d’une égalité de fait qui ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. La propension de l’individu à vouloir dominer et à rechercher le plaisir suppose que la mise en œuvre d’une doctrine fondée sur l’égalité s’accompagne d’une forme de tyrannie, qui par ailleurs s’emploiera à renier l’élan vital qui pousse l’homme à se démarquer par sa créativité, à se sublimer dans cet inutile nécessaire qu’est l’art, à renouveler sans cesse la marche de sa pensée. En somme, si l’utopie occulte les travers de l’être humain, elle le dépouille aussi de son meilleur.
La prise de conscience est douloureuse pour Pascal, qui avait espéré l’affection des masses, et réalise que l’homme ne s’apitoie que sur sa propre détresse… qui se moque de sa propre naïveté, et en même temps, de manière inconsciente, la regrette, car avec elle, il fait aussi le deuil de l’enthousiasme aventureux de la jeunesse, de la foi qui vous porte vers l’action et le partage. Et qu’est l’utopie, si ce n’est la jeunesse des idées ?
Vaincu, il finit par se ranger du côté de ce qu’il a combattu : l’argent, la mollesse et la veulerie.
J’ai vraiment aimé ce texte au propos certes triste mais porté par une plume à la fois élégante et alerte, coloré de descriptions comme croquées sur le vif et en même temps riches des détails significatifs captés par le regard acéré et non dénué d’humour d’Albert t’Serstevens, par ailleurs maître dans l’art de l’outrance pour caricaturer ses personnages et animer son récit.
Tu sais, j’ai choisis de lire ce livre pour les même raison que toi. Moi aussi j’ai adoré Jérôme... "(généralement je passe les pré comme les post)", mais moi aussi :-) . Bravo pour ton article, je n’écris plus, mais sinon j’aurais dit la même chose que toi, car il est très bien ce livre.... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerJe suis flattée !!
SupprimerEt chouette découverte, oui (mais j'y allais avec une confiance aveugle...).
un auteur que j'ai découvert il y a une éternité pour ses livres de voyages mais je ne l'ai jamais plus recroiser ça me fait plaisir de le découvrir ici
RépondreSupprimerAh il a aussi écrit des récits de voyages, je vais creuser ça..
Supprimertrès beau billet même si je n'ai pas envie de le lire (pas du tout mon "truc")
RépondreSupprimerpour avoir envie de croiser ses héros littéraires, je comprends parfaitement :-)
Je ne te l'aurais pas conseillé, ceci dit !
SupprimerJe ne connaissais pas du tout ! Merci de nous faire découvrir des livres originaux durant ce mois belge.
RépondreSupprimerUne découverte pour moi aussi, et je vais essayer d'approfondir..
SupprimerLa belle affaire! Je lis ton superbe billet et me v'la en séance de lectures d'extraits de Jean-Pierre Martinet. Il me faut lire Jérôme! Tu as le don de nous dénicher des pépites, toi!
RépondreSupprimerAh, "Jérôme"... un titre qui figure dans mon TOP 10, en compagnie de Céline, Faulkner et Donoso. Mais attention, c'est une lecture pas toujours facile et assez éprouvante (mais ton billet sur "Les lionnes" me fait soupçonner que si quelqu'un peut lire Jérôme, c'est toi !).
SupprimerLes lectures difficiles ne me font pas peur. Oui, Les lionnes! Et Antonio Lobo Antunes est l'un de mes auteurs préférés! Alors, ce Jérôme, je suis prête à le rencontrer!
SupprimerAlors tu n'as plus qu'à... je vais attendre cette lecture, et ton avis, avec impatience maintenant !
SupprimerÇa a l'air en effet d'une petite pépite belge, une grande curiosité en tout cas. Je m'y aventurerais bien. En revanche le Jérôme de Martinet est un trop gros pavé pour que je m'y aventure. Il me tentait bien cela dit.
RépondreSupprimer"Un apostolat" se lit vite, il est assez court, et le style est fluide. "Jérôme", c'est une autre paire de manches, mais tu peux aussi découvrir Jean-Pierre Martinet avec des titres plus courts. Il y a notamment "La grande vie", au format "nouvelle" qui permet de s'immerger dans son univers sans s'embarquer dans un pavé...
SupprimerTu es vraiment incroyable, tu nous fais découvrir des auteurs inconnus ou méconnus, tu les mets en réseau avec d'autres auteurs méconnus, et tu donnes envie de plonger là-dedans sans réfléchir...
RépondreSupprimerTu me fais très plaisir, là ! Jean-Pierre Martinet a eu une vie et une mort sordides... il était alcoolique et est décédé à 48 ans dans un parfait anonymat. Et c'est pourtant un auteur génial, avec un style très particulier, qui équivaut pour moi à celui d'un Céline .. c'est dire !
SupprimerLe plus dur, c'est de se résigner à ne pas pouvoir lire TOUS les auteurs qui nous tentent ; je note quand même, sait-on jamais ..
RépondreSupprimerJe compatis tellement... Bon pour moi l'incontournable, ce serait plutôt Martinet, mais c'est aussi un auteur que je conseille peu tant son univers et sa plume sont sombres et particuliers. "L'ombre des forêts" est plus court et moins "ardu" que "Jérôme", qui est certes son chef-d'œuvre, mais qui demande de l'endurance...
SupprimerEt hop, deux auteurs d'un coup! Figure to i que ma bibli possède plusieurs ouvrages dudit Martinet. ^_^
RépondreSupprimerTrès recommandable, ta bibliothèque !! C'est plus prudent de commencer par un titre court, tu l'auras peut-être compris à travers mes réponses aux commentaires ci-dessus.
Supprimerje ne connais pas alors je note :-) pour l'an prochain :-)
RépondreSupprimerBonne idée, je fais, comme toi, ma "liste de courses" d'une édition à l'autre ..
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