"Fils d'homme" - Augusto Roa Bastos
"Oui, c'est cela la vie, si loin qu'on regarde le passé, l'avenir, ou même le présent aveugle. Une flamme têtue qui brûle dans les os, cette nécessité d'aller un peu plus loin qu'il n'est possible, de résister jusqu'à la fin, de franchir une ligne, une limite, de durer encore, au-delà de tout désespoir et de toute résignation".
Cette Histoire, c’est celle, traversée par une extraordinaire violence, du Paraguay, du point de vue de deux villages perdus, distants d’une cinquantaine de kilomètres, à partir desquelles s’étendent les ramifications de l'intrigue et les destinées des personnages.
Un narrateur, que l’on retrouve dans plusieurs épisodes, plante les jalons de la période que couvre ce kaléidoscope, de ses souvenirs d’enfance qui évoquent un vieil homme ayant connu la dictature de Francia (à la fin de la première moitié du XIXème siècle) à la guerre du Chaco, à laquelle il participe au début des années 1930.
Itapé est le lieu d’un étrange culte païen initié à la mort de Gaspar Mora. Dans la retraite solitaire où la lèpre l’avait condamné à finir sa vie, il sculpta un Christ de bois que les villageois, fidèle à ce menuisier que sa générosité poussait à rembourser les dettes des agriculteurs et à procurer vêtements et vivres aux plus misérables, érigèrent en objet sacré, exhibé chaque année lors d’une procession.
Sapukai aussi eut son héros populaire, en la personne d’un gringo arrivé là dans d’obscures circonstances, qui y fonda une léproserie, et dont les dons de guérisseur lui valurent la vénération de ses concitoyens jusqu’à ce qu’il bascule dans la démence, et soit expulsé du village à coups de pieds, accusé d’avoir volé un enfant qu’il avait en réalité voulu soigner. Mais ce qui caractérise avant tout le village, c’est l’empreinte qu’y a laissé son martyre : l’explosion d’une bombe en pleine gare, faisant deux mille morts et creusant un gouffre que plusieurs décennies ne parvinrent à combler.
Et ce n’est pas là l’unique tragédie qui ponctue l’histoire de ces lieux et de ces temps prompts aux révolutions, marqués par les guérillas et les répressions sanglantes, par l’exploitation inhumaine des plus pauvres, comme en témoigne l’épisode qui prend pied dans une de ces terribles plantations de maté dont aucun fugitif n’est jamais sorti vivant.
A l’intensité et à la fureur de la réalité historique, se mêlent les légendes et les superstitions dont l’a enrobé la transmission orale, né du besoin, pour soigner la souffrance qu’elle génère, d’invoquer le merveilleux et les fantômes de héros populaires. En réponse à l’absurdité tragique de l’existence, les morts ou les disparus laissent ainsi derrière eux l’écho de leurs déchéances, l’ombre de leur folie ou de leur vain héroïsme, pendant que les vivants s’adonnent à des rites âpres et primitifs pour conjurer le malheur.
Je le note. Belle chronique.
RépondreSupprimerOui, note ! J'ai été emportée par l'écriture, l'histoire..
Supprimer2000 morts dans un attentat, il y a de quoi hanter les mémoires des générations suivantes ! Je n'ai rien lu sur le Paraguay, ce challenge va m'ouvrir des horizons. (il faut déjà que je le situe sur une carte ..)
RépondreSupprimerC'est un pays "coincé" entre le Brésil au nord et l'Argentine au sud, sans ouverture sur l'océan..
Supprimeret comme beaucoup de pays d'Amérique du sud, son histoire est tragique et violente..
Mais tu enchaines les coups de coeur !
RépondreSupprimerOui, j'ai débuté par une excellente série... et il y aura encore du très bon par la suite !
SupprimerDécidément ! Que de belles découvertes ! C'est noté pour plus tard...
RépondreSupprimerCe mois latino a en effet été très fructueux en ce qui me concerne.
SupprimerJe suis perdue .. mais ravie que tu aies aimé !
RépondreSupprimerMon résumé ne rend pas justice au roman, si tu es perdue... il prend différentes bifurcations, mais la structure narrative est maîtrisée, et le lecteur bien pris en main.
SupprimerTu es très enthousiaste, mais un petit quelque chose me freine, sans doute les légendes et superstitions...
RépondreSupprimerCe n'est pas l'aspect le plus mis en avant ici, il apparaît surtout sous la forme d'épisodes anecdotiques.
Supprimerj'ai toujours une réticence au merveilleux d'Amérique Latine, en revanche je suis passionnée par l'histoire de ces pays et je n'ai encore rien lu sur le Paraguay
RépondreSupprimerComme je l'écris en réponse à Kathel, il y a une part de surnaturel dans le roman, mais elle est subtile, et pas omniprésente. Et surtout, c'est un excellent texte !
SupprimerTrois coups de coeur ! Bravo ! Il faut que je les note. Personnellement, je découvre des livres intéressants qui me plaisent beaucoup (pas à plaindre donc) mais (contrairement à l'année dernière, Carpentier, Arguedas , Llosa) pas de coups de coeur pour l'instant et quelques abandons.
RépondreSupprimerEt j'en ai encore en réserve (notamment avec Vargas Llosa d'ailleurs, que j'ai découvert à l'occasion de cette 2e édition du mois latino avec "Le rêve du celte").
SupprimerEt tu as vu, Athalie vient de publier un billet sur "Diamants et silex", qu'elle a lu sur tes conseils :) ?
Oh une petite pépite du côté du Paraguay ! C'est assez rare pour qu'on ne s'y arrête pas. Bon, comme Kathel, je crains le côté légendes et superstitions mais si ça reste anecdotique dans l'ensemble de l'intrigue, ça devrait aller.
RépondreSupprimerOui je confirme, il y a des allusions (rares) à des événements qui fleurent le surnaturel, et l'évocation de superstitions qui empruntent au religieux comme aux mythes populaires, mais l'ensemble reste réaliste.
SupprimerTu me fais vraiment regretter de ne pas pouvoir participer davantage cette année, avec tes coups de coeur. Ce titre me semble tout particulièrement attirant, bien ancré dans une noire réalité comme je les aime, les histoires !
RépondreSupprimerJe vais être obligée de recommencer l'année prochaine, dans ce cas ! J'avais noté cet auteur chez Goran lors de la première édition (il avait lu un autre de ses titres) et j'ai bien fait..
SupprimerTes extraits donnent envie... C'est noté. En plus, préface d'Eric Faye, un auteur que j'apprécie particulièrement aussi. Doublement curieux, donc...
RépondreSupprimerLe texte est très beau, en effet, et l'histoire prégnante. Une très belle découverte.
SupprimerFinalement, trop du pour moi ces coins là...
RépondreSupprimerC'est vrai qu'à l'image de son Histoire, c'est une littérature traversée par la violence et l'injustice (mais quelle Histoire ne l'est pas, après tout ?)..
SupprimerÇa a l'air trop bien, vu ton enthousiasme ! (oui je rattrape mon retard après une semaine de vacances)
RépondreSupprimerOui oui oui ! A lire, et plutôt deux fois qu'une, d'autant plus que je pense vraiment que cela pourrait te plaire ..
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