"Né d’aucune femme" - Franck Bouysse
"Qui pourrait m’en vouloir de fendre ma douleur en deux pour essayer de vivre un peu mieux ?"
Cette histoire, c’est celle de Rose, 14 ans, l’aînée de
quatre filles, "la ruine d’une maison", comme le répète,
sempiternellement, leur père. On est dans le monde rural d’avant les machines
et les autos, de paysans frustes qui "passent sur terre en l’effleurant à
peine", un monde où "sortir quatre êtres du néant, ce n’est plus de
la responsabilité, c’est la folie pure". La parole y tient peu de place,
on n’a ni le temps ni les moyens pour l’amour, qui finit toujours par des
bouches supplémentaires à nourrir.
La vie est laborieuse, miséreuse, au point qu’Onésime, le
chef de famille, commet l’impensable en vendant sa fille.
Pour Rose, c’est le début de l’enfer. Elle échoue dans un manoir
isolé où une vieille femme tyrannique et sournoise règne sur un fils aux
allures d’ogre et une belle-fille malade dont l’accès à la chambre constamment
verrouillée est interdit. Cette sinistre compagnie est complétée d’Edmond, le
jardinier, qui d’emblée intime à Rose de fuir. La jeune fille ignore son
conseil et reste ; elle disparait du reste du monde, engloutie dans ce
sordide microcosme où elle subit une ignominie croissante…
Le roman alterne entre les points de vue de Rose, par
l’intermédiaire des cahiers retravaillés par Gabriel -stratagème tout de même
un peu boiteux pour justifier l’éloquence de la jeune paysanne-, d’Onésime, père
pathétique et impardonnable travaillé par le remords, et du mystérieux Edmond,
torturé par un sombre secret et par la hantise de se laisser gagner par le mal
qui l’environne.
Malgré le bémol exprimé ci-dessus, je dois dire que
j’ai été convaincue, emportée, même, par le roman de Franck Bouysse, dont j’ai
tendance à craindre les débordements lyriques, mais vers lequel je ne peux
m’empêcher de revenir… alors oui, lyrisme il y a, la parole de Rose oscillant
entre tournures parlées, familières, qui donnent de la spontanéité à son
témoignage, et des envolées poétiques, certes de toute beauté, mais
susceptibles d’en altérer la crédibilité. Cela ne m’a pas gênée : l’auteur
m’a rapidement décidée à jeter aux orties tout besoin de vraisemblance.
"Né d’aucune femme" m’a plongée dans un conte glauque et macabre,
aux accents gothiques, où se rejouent des mécanismes de domination évoquant une
lointaine époque féodale, les accents lyriques du texte s’installant comme une
musique de fond pour exhausser la dimension tragique de l’intrigue.
J’ai beaucoup, beaucoup aimé.
"A quoi bon continuer, s’il n’y avait rien au bout de la nuit ?"
Comme je le disais chez Philisine, je n'ai pas eu envie de le lire, trop sombre, trop noir ; pourtant j'aime bien l'auteur, mais c'est un peu trop l'overdose de noirceur.
RépondreSupprimerAh oui, c'est trèèèès noir, mais c'est en partie ce qui m'a plu !
SupprimerJamais lu l'auteur, je dois craindre le lyrisme je suppose.
RépondreSupprimerSelon les titres, il est plus ou moins "débordant" je trouve. Pour moi, c'est dans "Glaise" que Bouysse a trouvé le meilleur équilibre entre lyrisme et crédibilité.
SupprimerTu décris bien ce roman que comme toi j'ai aimé malgré ses excès on se laisse emporter par cette lecture.
RépondreSupprimerOui, je me dis que c'est une lecture qui demande une certaine forme d'indulgence, et les arguments de l'auteur (notamment son écriture) m'ont sans peine convaincue de l'être (indulgente). J'avais envie d'aimer, disons...
SupprimerLe lyrisme noir et macabre de ce titre a fait complétement flop en ce qui me concerne ... Je n'ai pas réussi à jeter les invraisemblances dans les orties, elles ont envahi ma lecture !
RépondreSupprimerOui, je me souviens bien de ton billet et de ta déception. Comme évoqué ci-dessus avec Luocine, pour moi ce titre, ça passe ou ça casse. Il a d'évidents défauts, que selon le lecteur, il sera plus ou moins facile d'occulter..
SupprimerJe suis ravie de lire ton avis qui est très complémentaire du mien. On se rejoint sur beaucoup de points, finalement, même si nos impressions finales sont différentes. Merci à toi pour cette proposition de lecture, je suis très contente d'avoir découvert une eouvre de cet auteur qui a des qualités littéraires indéniables (notamment au niveau de l'écriture).
RépondreSupprimerOui, on se rejoint sur tous les points concernant l'analyse, puisque je reconnais moi aussi les "défauts" que tu pointes dans ton billet. Disons que l'écriture m'a envoûtée au point de passer outre ...
SupprimerJ'ignorais que tu découvrais l'auteur avec titre. J'espère que cette expérience t'aura tout de même incitée à continuer, il y a du très bon chez Franck Bouysse.
Même commentaire que Keisha. Quand je lis des extraits, je crains de ne pas accrocher au style.
RépondreSupprimerDans ce cas ce n'est pas avec ce titre qu'il faut tenter, si tu décides de tenter.. "Glaise", comme je l'écris en réponse à Keisha, est celui dont le style est le plus maitrisé, selon moi..
SupprimerJ'ai aimé d'autres titres de Franck Bouysse, notamment Groissir le ciel, mais en me disant qu'il en faisait un peu trop, et là, j'ai l'impression que c'est vraiment trop macabre pour moi. C'est toi qui a employé cet adjectif, et tu n'as pas tendance à l'exagération, alors... je crois que je ne le lirai pas. Dommage car l'auteur sera à Étonnants Voyageurs et j'y vais cette année !
RépondreSupprimerOui, c'est noir et macabre, l'auteur n'en finit pas d'enfoncer ses personnages dans une violence presque insoutenable par moments.. mais ce n'est pas pour me déplaire (je crois que je suis un peu maso:)...
SupprimerTu es beaucoup plus enthousiaste que Philisine. Comme toi, j'ai pris le parti assumé du conte pour adultes dès le départ, ce qui m'a affranchi de tout désir de vraisemblance. Ce qui m'a aussi permis de mieux "encaisser" le happy end (un peu too much).
RépondreSupprimerJe suis ravie de lire ton commentaire, et de constater que nous avons abordé ce titre exactement de la même manière. Concernant la fin en revanche, j'avoue que je l'ai personnellement trouvée bienvenue, elle compense la noirceur de tout ce qui précède, et donne l'impression d'émerger, après avoir été plongés dans un cauchemar ignoble, à la lumière du jour...
SupprimerPas lu et pas trop tentée pour le moment, mais, si je le trouve, je pense que je vais lire "Grossir le ciel" et on en parlera.
RépondreSupprimerTu devrais le trouver sans peine, il est sorti en poche. Il faut essayer Franck Bouysse, je trouve qu'il vaut vraiment le détour, malgré ses "défauts".. j'ai personnellement encore un de ses titres dans ma bibliothèque à lire (son dernier : "Buveurs de vent"', récemment sorti en poche).
SupprimerVoilà un roman que j'ai lu il y a bien longtemps, mais dont le souvenir est encore bien vivace ! et que dire de la couverture que je trouve magnifique. J'aime beaucoup l'écriture et l'univers de Frack Bouysse. Je m'ai pas lu ce qu'il a écrit après " né d'aucune femme" mais je trouvais celui ci très différent de ses précédents. Moi j'ai adoré. Pour le reste sur la question du lyrisme, je te rejoins tout à fait quand tu dit que c'est avec "Glaise" qu'il a trouvé le meilleur équilibre ! A bientôt ;)
RépondreSupprimerC'est vrai que ce titre se détache de ceux qu'il a écrits avant, l'atmosphère y est différente, et il y a cette dimension "fable" ou "conte" qui vraiment le caractérise. Il me semble que "Buveurs de vent" est encore différent... à voir !
SupprimerJ'ai un gros faible pour Franck Bouysse et ce titre m'a totalement séduite... Le noir comme j'aime avec une écriture que j'adore malgré ses quelques envolées lyriques...
RépondreSupprimerSur ce coup, je te rejoins complètement, j'ai adhéré sans peine à son écriture, et je me suis sentie complètement investie dans cette lecture..
SupprimerUn roman que je n'ai pas du tout apprécié. J'ai été rebutée par le côté voyeuriste de la description des scènes de viol, le style qui m'a parfois semblé ampoulé et les incohérences du récit qui culminent avec le grand n'importe quoi de la fin. Pour moi la meilleure trouvaille c'est la photo de couverture.
RépondreSupprimerC'est en tous cas un titre qui divise... je crois que le fait de l'avoir lu comme une sorte de conte macabre a fait passer tout le reste, en ce qui me concerne.
SupprimerJe suis une des rares lectrices à ne pas avoir aimé cette histoire mais j'ai détesté les envolées lyriques et l'histoire aussi !
RépondreSupprimerSans doute Bouysse n'est-il pas pour toi ... ceci dit, sans parler de détestation, beaucoup de lectrices ont émis un avis mitigé suite à cette lecture.
SupprimerTerrible, mais quelle force chez Bouysse...
RépondreSupprimerUne force qui m'a emportée, en tous cas... il a en effet une plume d'une belle éloquence.
SupprimerJ'ai très envie de le lire celui-ci :)
RépondreSupprimerComme tu peux le voir dans les commentaires précédents, ça passe ou ça casse ! Mais en tous cas, tu auras été prévenue, ce qui peut être un avantage. Personnellement, je recommande au moins d'essayer, ne serait-ce que pour goûter à la belle plume de Franck Bouysse...
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