"Mémoires des terres de sang" - Inara Verzemnieks
"Appartenir à une famille signifie connaître d’instinct les subtilités cachées derrière certains silences et leur raison d’être".
Inara Verzemnieks est consciente que son métier de journaliste lui a longtemps permis de fuir le "je". En même temps, elle a toujours été fascinée par les histoires de lieux emplis de la mémoire de disparus. Après la mort de ses grands-parents, elle finit par éprouver l’effroyable attrait de ces "Routes de la guerre", théâtre d’événements certes antérieurs à sa naissance, mais qui ont déterminé le commencement de son existence, à partir du moment où elles ont réclamé ses parents, les poussant à quitter leurs terres natales et à se disperser. Leur exil est alors aussi devenu le sien. Elle se rend donc sur les lieux de ses origines, et y rencontre sa grand-tante Ausma, qui n’a revu sa sœur que cinquante ans après leur séparation due à la guerre puis à l’éloignement géographique. Ausma ne vit plus dans la ferme de leur enfance, délabrée, et dont elle n’a pas gardé le souvenir ébloui qu’en avait son aînée.
L’auteure confronte l’histoire sublimée de sa grand-mère à une réalité autre, intensément douloureuse. Des archives et des témoignages lui permettent de reconstituer ce qu’a pu être l’exil de sa grand-mère, de combler les silences, les omissions et les détours narratifs, notamment ceux d’Ausma et de son époux, qui lui font soupçonner le traumatisme d’une tragédie dont le récit émergera peu à peu, mais il faudra pour cela plusieurs séjours auprès de sa grand-tante. En attendant, elle retrace le parcours de Livija, qui a suivi l’acmé, depuis Riga, de la Seconde Guerre mondiale, allaitant son fils nouveau-né (le futur père d’Inara) au milieu des bombes, puis partant, avec ses deux enfants en bas âge, sans avoir le temps de prévenir la famille restée à Lembis. Ayant rejoint, en 1945, le territoire nord-allemand occupé par les Anglais, ils y sont enregistrés comme Personnes Déplacées, puis transférés dans un camp de réfugiés où les retrouvera plus tard leur mari et père. Commencera alors une interminable attente, celle de l’acceptation, par la très scrupuleuse et méfiante administration américaine, de leur demande d’émigration.
A travers la destinée des siens, Inara Verzemnieks explore aussi les turbulences et les tabous de l’Histoire de son pays d’origine qui, soumis aux changements d’empires dirigeants, a connu maintes servitudes. Ce n’est qu’au XXème siècle que la Lettonie accède au rang d’état indépendant, les grands-parents de l’auteure ayant fait partie de la première génération officiellement lettone. C’est aussi un lieu marqué par la perte, d’où il a toujours été facile de disparaître. Le siècle dernier y a implanté son lot de malheurs, déportations, morts et exils dus à la guerre, assassinats de juifs… Encore aujourd’hui, bien que l’exil soit la plupart du temps volontaire, la population décline. Dans les campagnes où l’importance des morts était ancrée dans le folklore, on ne leur réserve plus de place à table : tous leurs descendants potentiels sont partis pour des régions d’Europe plus prospères.
Les secrets de ses proches se fondent avec ceux d’une nation ainsi traumatisée (à l’instar d’Ausma qui ne s’est jamais vraiment remise de sa déportation en Sibérie), mais parfois aussi oublieuse de ses propres errements, parmi lesquels l’existence de cette légion lettone recrutée par les SS, et qui a compté dans ses rangs le grand-père d’Inara, Emils, qui, s’il n’a pas participé lui-même aux massacres de juifs, a forcément assisté à l’innommable…
Commentaires
Mais oui, il est très intéressant, parce que c'est un pays dont on connait peu l'histoire, mais aussi parce que l'auteure rend les protagonistes de son récit très émouvants.
En attendant je note Sandra Kalniete et son drôle de titre, qui constitue déjà à lui seul tout un programme !