"Moscou" - Schalom Asch
"La vie n’est pas faite d’idées mais d’actes quotidiens. Les idées retournent au ciel comme des âmes, et sur la vie pèse le poids des actions."
Dans le précédent volet, nous avons laissé Zakhari à
Varsovie, théâtre de la révolte d’une population affamée et accablée par un
hiver terrible, violemment réprimée par les forces de l’ordre. Les dernières pages
du récit évoquaient par ailleurs l’information, relayée par tous les journaux,
de l’assassinat d’un archiduc autrichien dans une ville de Serbie ou de Bulgarie…
Nous le retrouvons à Moscou, devenue, à l’aube de la Révolution, la première ville du pays. Les éléments les plus divers y accourent
ainsi depuis tout l’Empire, y compris des juifs à qui la ville était interdite
à l’époque du Tsar. La ville est sur le pied de guerre. L’esprit de rébellion s’exprime
à la moindre occasion, les domestiques se font insolents, certains nantis se
rangent par opportunisme du côté du peuple, d’autres déjà s’exilent. A
Pétersbourg, la maison de l’ancien employeur et ex-futur beau-père de Zakhari, Maître
Halperine est réquisitionnée ; son père est peu à peu dépossédé de ses
biens.
D’abord soudées par la gravité du moment, le sentiment patriotique
et la haine d’un ennemi commun (ceux qui, "avec l’argent allemand, veulent
détruire les acquis de la révolution"), les diverses factions impliquées
dans le mouvement révolutionnaire -Bolcheviks, Socialistes Révolutionnaires, Mencheviks-
se perdent bientôt dans d’incessants débats. Le véritable affrontement tarde lui-même
à venir, rouges et blancs l’évitant, les uns n’étant pas encore décidés, les
autres pas encore prêts…
Zakhari, marqué par son expérience à Varsovie, dont des
images d’horreur -miséreux affamés, cadavres d’enfants…- le hantent, a besoin
de s’investir dans un combat lui permettant d’assouvir la soif de justice que la
fureur, face à l’asservissement des plus pauvres par les Tsars ou les messies
autoproclamés, a ancrée en lui. Le spectacle de la solidarité et du sens de la collectivité
qu’il a constaté parmi les masses juives au moment de la détresse et des
persécutions, l’a empli d’espoir : pourquoi ne pourraient-elles pas
s’étendre à toute l’humanité ? Porté par le rêve de l’avènement du Bien par une fusion de l’individu dans le collectif, il est bouleversé par
la moindre preuve d’humanité dont il est témoin au cœur du chaos.
Engagé dans le Comité de guerre révolutionnaire aux côtés
notamment de la camarade Sophie, qui n’est autre que Zochka, la fille cadette
de Schlomo et Rachel-Léa Hurwitz, il est bientôt à la tête d’une division.
Ses doutes et ses hésitations, éclipsées par l’ardeur que requiert l’action, réapparaissent avec le temps, faisant place à une désillusion et une tristesse permanente. Zakhari voit les dirigeants du mouvement devenir prisonniers du pouvoir qu’ils ont déclenché, et constate une fois de plus que l’égoïsme semble être le seul instinct authentique, la seule force à l’œuvre dans le monde, et qu’il n’y a pas de limite aux ruses que l’homme déploie pour assurer sa pitance, l’une d’entre elles consistant à déguiser sa soif de pouvoir en "force morale". A quoi bon la souffrance et la destruction causées par Octobre, à quoi bon les sacrifices et le sang versé, "s‘il n’existe pas de force intérieure durable qui porte en elle sa propre raison d’être, et que la chute dans l’abîme de la bassesse inéluctable", puisqu’il "arrive forcément un moment où la haine du mal s’oublie au profit de la vengeance des hommes"?
C’est finalement en retrouvant son père, avec qui il avait
rompu, que Zakahari se console de son amertume. Les deux hommes renouent une relation
marquée par la tendresse et le respect.
J’ai peu évoqué ce personnage, pourtant bien présent
notamment dans le premier et le dernier volume de la trilogie, qui mérite
pourtant qu’on lui accorde une attention particulière. Le vieux Mirkin affiche
tout au long du récit une dignité et une honnêteté tout à fait remarquables. Riche
industriel, il est prêt lors de la Révolution à se défaire de ses biens non par
opportunisme ou crainte des représailles comme tant d’autres, mais par
conviction. Et ce n’est pas tant dans les Bolcheviks et autres révolutionnaires
qu’il place sa confiance, qu’en la grande Russie, et l’idée qu’il s’en est
forgée. Porté par une foi démesurée en son pays, il est persuadé que le mouvement
naturel du peuple russe mènera à un monde plus juste. Las, lui aussi doit
déchanter, il n’y aura pas de miracle. Cet homme que l’on aura toujours vu si élégant,
si serein, si bienveillant, est plombé d’une fatigue croissante. Il a beau tenter
de s’adapter aux changements et aux contraintes que lui imposent les nouveaux
dirigeants, ces derniers ne cessent de lui mettre des bâtons dans les roues, de
manière totalement arbitraire.
La trilogie de Schalom Asch se termine ainsi sur un volume
aussi trépidant que profond, qui se pare à certains moments d’un souffle quasi
épique. L’auteur y entremêle avec une parfaite maîtrise destinées individuelles et contexte historique.
A lire !
On a compris, faut lire cette trilogie. Bon, pas pour cette session ^_^ Pas connue de mes biblis, dis donc.
RépondreSupprimerIl faut dire que même en format poche, elle est parue dans une maison d'édition peu connue (Archipoche). Mais d'ici l'an prochain, tu auras peut-être le temps de convaincre ta bibliothèque de se la procurer !
SupprimerC'est un excellente troisième tome, on est bien d'accord :-). Je suis très heureux que nous t'ayons donné envie de lire cette trilogie et aussi ravis de voir que tu faire des émules. C'est une trilogie passionnante et ce dernier tome est profond, comme tu le dis. J'en garde notamment une citation qui résumé bien ce qui se passa alors : "Liberté, liberté, qui savait quel visage tu allais prendre !"
RépondreSupprimerJ'ai avalé les trois tomes, pourtant assez épais, d'affilée, c'est je crois une preuve de la qualité de l'ensemble... Merci du conseil !
SupprimerBien, bien, j'obéis, je suis convaincue, je note, tout ça !
RépondreSupprimernathalie
Oui il faut noter !
SupprimerJe suis convaincue aussi, je note le premier (impossible de commencer par le deuxième ?) ;-)
RépondreSupprimerJe ne recommande pas, le premier pose des personnages importants pour la suite, et permet de comprendre leur évolution..
Supprimerune trilogie que je vais garder en mémoire car elle a semblé extraordinaire .
RépondreSupprimerElle est très bonne, oui, d'autant plus si tu t'intéresses à cette période de l'Histoire, qu'on a le sentiment de vivre de l'intérieur..
SupprimerUne trilogie hautement recommandable donc. Ma bibliothèque ne connaît pas, mais les poches ça peut encore aller.
RépondreSupprimerJe les avais trouvés facilement en librairie, car leur parution est relativement récente.
Supprimer