LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Typhon" - Joseph Conrad

"L'ouragan qui met les flots en démence, qui fait sombrer les bateaux, et qui déracine les arbres, qui renverse les murailles et précipitent l'oiseau de l'air contre le sol, l'ouragan avait rencontré sur sa route cet homme taciturne et son plus grand effort n'avait pu que lui arracher quelques mots."

On pourrait croire que le héros de ce roman, c’est l’ouragan, enfin pardon, le typhon, puisque le récit se déroulant dans le nord-ouest du Pacifique, c’est ainsi qu’on y désigne ce "phénomène tourbillonnaire des régions tropicales accompagnés de vents dont la vitesse est supérieure ou égale à 118 km/h".

Il s’annonce par une chaleur moite et un air épais puis s’abat sur le Nan-Shan alors que le navire fait route vers le port de commerce de Fou-Tchéou. Il est porteur, en sus de son équipage, d’une cargaison de marchandises et de deux-cents coolies chinois rapatriés dans leur province après plusieurs années de travail dans diverses colonies tropicales, dont les imposants bagages -des coffres en bois de camphrier- sont remplis de leurs économies.

Joseph Conrad nous plonge au cœur des prémisses du chaos où alternent ralentissements menaçants et mouvements puissants, le dote d’une dimension épique et éminemment romanesque. Il nous fait affronter la furie des vagues qui tantôt creusent des gouffres et tantôt dressent des murailles, nous place au cœur même d’un vent qui semble pris de démence. En décrivant les lames gigantesques comme si elles étaient des créatures vivantes, en imaginant la tempête dotée d’intentions, s’en prenant avec acharnement à chaque individu comme s’il était son ennemi, il la personnifie. 

Et le pire reste à venir… 

L’homme est dans ce déchainement ramené à sa petitesse, mais y trouve aussi, paradoxalement, l’occasion d’y vivre un épisode intense, voire héroïque, de son destin.

Donc le héros n’est pas ici l’ouragan le typhon, mais un personnage a priori falot, le capitaine Mac Whirr. L’homme est placide -taciturne diraient certains-, peu loquace (et c’est un euphémisme), et d’une humeur égale qui peut s'avérer exaspérante pour ses compagnons de route, qui se demandent parfois si son inertie ne serait pas un signe d’idiotie. D’aucuns se demandent encore ce qui lui a pris le jour où l’adolescent de quinze ans soumis à son épicier de père a fui Belfast pour prendre la mer. Il a horreur d’aller à terre, une aubaine pour sa femme qui appréhende le jour où ses absences au long cours, dont elle s’accommode bien volontiers, prendront fin. En attendant, il lui écrit de longues lettres, évidemment dépourvues de tout sentimentalisme. 

Lorsque la baisse persistante du baromètre ne lui arrache qu’un laconique commentaire, son second, Jukes, déjà de mauvaise humeur parce que le navire est dorénavant sous couleur siamoise après avoir battu pavillon britannique, devient en plus très inquiet. Des sales temps, il en a connu, qui l’ont secoué, saucé… Mais là, il pressent l’imminence de ce qu’il n’a jamais vécu mais qu’il sait exister : le courroux et l’emportement passionné de la mer…

Dans l’épreuve à venir, les deux hommes vont lutter côte à côte, et en restant semblable à lui-même, y compris dans ces circonstances dantesques, le capitaine Mac Whirr, par son sang-froid et son pragmatisme à toute épreuve, va faire figure de héros. 

Le roman est bref, et il est à noter qu’une ellipse narrative nous épargne (ou nous prive de ?) l’acmé du typhon, mais il n’en reste pas moins ébouriffant, et sacrément iodé ! Et je me suis régalée de l’imperturbabilité du sieur Mac Whirr…


Un autre titre pour découvrir Joseph Conrad : Au cœur des ténèbres

L'avis de Moka

Une participation...

... à l’activité "Les Classiques c’est fantastique", organisée par Moka et Fanny, qui proposaient pour ce mois de juillet un duel Conrad - Kafka :

… et au Book Trip en mer, chez Fanja.

Commentaires

  1. Je connais mal cet écrivain même si j'ai lu 2 ou 3 trucs (Au coeur des ténèbres)... ou du moins je ne suis pas tenté d'y revenir, pourtant ton billet me tente assez ?

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  2. Te voilà embarquée dans le book trip marin !
    Mon problème est que je confonds Conrad et Melville. Faudrait que je lise un peu plus les deux pour apprendre à les différencier, pour le moment ce n'est pas ça.
    J'ai une occasion en or : Ourag... Typhon est sur mes étagères.

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  3. Je n'ai jamais réussi à lire "Au coeur des ténèbres" et jamais tenté un autre titre de cet auteur. Dans le duel, j'aurais choisi Kafka ;-)

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  4. Lu il y a un certain temps, mais pas commenté sur le blog, je l'avais bien "noté" en tout cas, un 4,5 sur 5 ! Il y a quelque chose dans son écriture qui me plaît beaucoup.

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  5. J'ai lu une adaptation du Coeur des ténèbres en BD et un ou deux romans de Conrad qui n'ont rien à voir avec la mer. Je suis donc loin d'en avoir terminé avec lui.

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  6. J'avais lu ce titre il y a deux ans pour un RDV du défi "Bord de mer ou grand large." J'en garde un souvenir fort. Merci d'avoir participé une fois encore. ..

    https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2022/07/28/typhon-joseph-conrad/

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  7. sans penser au challenge, mais on pense du coup à Waves, les typhons ou tempête, tu me donnes envie de le lire du coup, besoin de fraîcheur et finalement le personnage du capitaine me plaît bien ;-)

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  8. Ah mais ou, ça pourrait bien m'embarquer encore, ça!!!

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  9. Des Livres Rances29 juillet 2024 à 13:18

    Je suis devenu un inconditionnel des nouvelles / novellas de Conrad. J'en ai lu l'intégrale l'an dernier, pourtant "Typhon" reste sans doute celle que j'ai le moins aimé.

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  10. Je ne l'ai jamais lu qu'en vieille "bibliothèque verte" (celles à jaquette en papier - avec des exemplaires sans jaquette). Je ne sais pas si le texte en était "abrégé", adapté, ou pas...
    Davantage que par le traitement du typhon lui-même, je me rappelle avoir été frappé par la "construction occidentale" du communisme égalitariste en fin d'ouvrage!
    (et ce largement avant la fondation officielle du PCC en 1921, alors que la traduction française du bouquin date de 1918 et sa version anglaise de 1903...).
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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  11. L'ourse bibliophile29 juillet 2024 à 18:46

    J'ai tenté en vain de lire Au coeur des ténèbresce mois-ci, je doute de retenter l'expérience Conrad prochainement, mais je suis d'autant plus curieuse de découvrir vos chroniques !

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  12. Très tentant pour le personnage du capitaine Mac Whirr plus que pour le typhon.^^ J'aime beaucoup ce genre de personnalité (en fiction du moins), ce flegme imperturbable qui doit rendre son entourage fou, haha ! Pour mon premier Conrad, je pense toutefois découvrir avant Au coeur des ténèbres que j'ai en projet depuis un moment, mais je ne perds pas de vue ce Mac Whirr.

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  13. @ Le Bouquineur = ça se tente aisément, il ne fait que 160 pages .. c'est un titre que j'ai récupéré dans la bibliothèque "scolaire" de mon frère quand on s'est partagé nos livres communs avant de partir ivre chacun de notre côté. Lui a gardé les BD...

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    1. Partir ivre ? Bravo, bel exemple pour les jeunes qui te lisent ! :-)

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  14. @ Nathalie = oh mais j'avais déjà commencé à naviguer un peu (avec Marc Biancarelli et J-Marie Blas de Roblès), même si je n'avais pas encore été aussi secouée…
    De Melville je n'ai lu que Moby Dick (et j'ai Bartleby sur mes piles), très différent de celui-ci au moins par son nombre de pages…

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  15. @ Sandrine = je n'ai pas gardé de souvenir très net d'Au cœur des ténèbres, mais j'en avais apprécié l'ambiance, de mémoire… Et comme je l'écris en réponse au Bouquineur, mon choix a été guidé par le hasard : ce titre se trouvait dans ma bibliothèque suite à un partage familial d'il y a presque 40 ans, et je ne l'avais jamais lu. Je me demande d'ailleurs comment il a échappé à mes tris successifs !

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  16. @ Kathel = j'ai aimé moi aussi son écriture, que j'ai trouvé très évocatrice, et non dénuée d'humour…

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  17. @ Je lis je blogue = ce titre est une bonne piste pour poursuivre, dans ce cas.. je serais de mon côté curieuse de lire l'adaptation d'Au cœur des ténèbres.

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  18. @ Moka = il y avait donc déjà eu un défi maritime… Merci à toi et à Fanny, vous me faites sortir des profondeurs de ma bibliothèque des titres qui auraient sans doute fini dans une boîte à livres sans avoir été lus… et j'ajoute un lien vers ton billet !

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  19. @ Electra = c'est une fraîcheur un peu brutale, mais elle sera du coup proportionnelle à cette chaleur qui nous plombe depuis deux jours… et merci pour le rappel : j'avais noté Waves, à une époque, avant de l'oublier.

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  20. @ Keisha = l'air du large t'inspire, on ne t'arrête plus ! (et je n'ai pas reçu la notification de ton dernier article).

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  21. @ Des Livres Rances = ça veut dire qu'il faut que je me penche sur les autres, alors…. je vais aller fouiner du côté de ton blog, cela me donnera de la matière pour le mois de la nouvelle !

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  22. @ Tadloiducine = eh bien, c'est un aspect à côté duquel je suis complètement passée ! Je n'ai retenu que les bourrasques et l'image de l'indéboulonnable Mac Whirr !

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  23. @ L'ourse bibliophile = celui-ci se lit bien plus facilement, il est très court, et on est plongé dans l'action. Au cœur des ténèbres est surtout un roman d'ambiance, et je crois me souvenir qu'il est assez lent…

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  24. @ Fanja = je pense en effet qu'il pourrait te plaire, cet impassible capitaine..

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  25. Virginie Vertigo30 juillet 2024 à 10:24

    Original de parler d'un typhon pour finalement éluder son apothéose. Conrad est un auteur qui me fait peur... ce n'est pas encore cette fois-ci que je vais le lire.

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  26. @ Virginie Vertigo = oui, l'ellipse surprend mais n'enlève rien à la force du récit. Ce texte est très bien pour découvrir l'auteur, il est facile à lire !

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  27. Je n'ai lu aucun livre de Conrad. J'avais recherché de l'information sur cet auteur et ce titre avait capté mon attention en raison de ce typhon. Mais bon. Merci de l'avoir présenté dans ce défi et j'adore toutes les descriptions de la mer, peu importe le livre...

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  28. Et bien je ne sais plus en te lisant si je l'ai lu ou pas ! Il faudrait relire Conrad comme tant d'autres. Je n'ai pas le courage de lire des classiques en ce moment je le reconnais, je suis bien trop occupée. Merci pour cette belle chronique

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  29. Lu il y a fort longtemps en édition folio jeunesse, peut-être abrégée, je n'avais pas été emballée mais je suis sans doute passée à côté de l'ironie du capitaine à l'époque. Sinon bonne nouvelle ; j'ai enfin reçu ta Newsletter!

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  30. @ Madame lit = si ce goût inclut les déchaînements maritimes, il devrait te plaire…

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  31. @ Manou = c'est un classique facile à lire, celui-là (ou à relire !), il est bref et très fluide. L'activité proposée par Moka et Fanny est pour moi l'occasion de ressortir certains classiques de mes étagères, parce que sinon, je n'en lis pas tant que ça. Et à chaque fois, j'en éprouve beaucoup de plaisir !

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  32. @ Sacha = c'est un personnage discret mais pas si falot qu'on l'imagine au premier abord.. et j'ai aimé cette manière d'occulter le moment le plus fort de la tempête. C'est très surprenant sur le moment, mais assez habile. L'auteur confère ainsi à cette tempête une dimension quais légendaire... et chouette pour la Newsletter.. par contrat Sandrine me signale ce matin avoir de nouveau des difficultés à déposer des commentaires.. on ne s'en sort pas ..

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  33. @ Le Bouquineur = mince... me voilà découverte !

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  34. Mais il m’inspire ce typhon ! Et ce capitaine un peu débonnaire

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    1. N'hésite pas dans ce cas à embarquer à bord du Nan-Shan, ça décoiffe !

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