"Dans les brumes de Capelans" - Olivier Norek

"Il y a des flics qui protègent leurs victimes. Il y a des flics qui chassent les monstres. La différence est ténue, mais entre les deux philosophies, c’est tout un monde."

Où l’on retrouve Victor Coste, six ans après le dernier opus de la "trilogie du 93" où nous avons fait sa connaissance. La perte d’un membre de son équipe au cours de la dernière enquête qu’il a menée en tant que capitaine du SDPJ de Seine-Saint-Denis l’a ravagé. C’est à sa demande qu’il a été muté à un poste et dans un environnement bien singuliers. Sous couvert d’un poste à la police des frontières de Saint-Pierre et Miquelon, consistant à vérifier l’identité des passagers débarquant sur l’île, le voici devenu "peseur d’âmes", et seul résident permanent d’une forteresse classée secret défense et ultra-sécurisée perchée sur une falaise de l’archipel. Il y a intégré le programme de protection des témoins, avec pour mission de récolter le maximum d’informations des criminels repentis avant leur exfiltration vers une nouvelle vie. Il vit là comme un reclus, ruminant son traumatisme, avec pour seul voisin un ancien archiviste passionné de criminologie avec qui il a fini par sympathiser. 

En métropole, la découverte de la dixième victime d’un tueur en série a mis fin à ses agissements, mais déclenché sa cavale. Plus exactement, ont été retrouvés dans la cave d’une maison à l’abandon le cadavre de la dernière adolescente séquestrée par le criminel mais aussi sa première proie, quant à elle toujours vivante. Anna Dailly avait disparu dix ans auparavant, laissant derrière elle un journal intime évoquant des abus paternels. Fugue ou kidnapping ? Malgré l’acharnement de l’inspecteur alors chargé de l’enquête, et qui ne s’en est jamais remis, aucune piste n’avait abouti. 

A quel prix la jeune femme a-t-elle survécu alors que le surgissement dans leurs vies de celui que l’on a surnommé "le prédateur" a été fatale à toutes ses autres victimes ? Pour l’heure, et à condition qu’elle s’en révèle capable, elle représente pour la police un témoin capital, le seul susceptible d’identifier un tueur que sa méticulosité a rendu insaisissable. C’est là que Coste entre en scène. Pour la responsable de l’enquête, sa fragilité émotionnelle, associée à son acuité et son empathie, sont des atouts pour forcer la parole d’Anna, qui sera par ailleurs ainsi mise hors de portée de son bourreau. La démarche est inhabituelle, Coste quelque peu réticent, et le premier contact avec cette jeune femme au visage aussi étrange que fascinant est très distant.

Le lecteur est pris dans les sinuosités de ce face-à-face, entre apprivoisement et malentendus, où se confrontent deux êtres forts mais fissurés. Pendant ce temps, l’enquête progresse tout doucement, au fil des indices qu’Anna extirpe de sa mémoire. A l’âpreté de l’atmosphère rendue par l’isolement insulaire, s’ajoute bientôt l’angoissante opacité qu’y installent les fameuses brumes de Capelans, ce phénomène météorologique dû à la rencontre des courants du Gulf Stream et du Labrador : pendant trois semaines, il sera impossible d’y voir à plus de quelques centimètres… En plus de l’excellente idée d’avoir choisi ce contexte pour y implanter l’intrigue, le récit bénéficie de la crédibilité que lui confère la propre expérience policière de l’auteur, qui sait en user à bon escient, sans en faire étalage. Le lecteur est ainsi instruit sans lourdeur d’anecdotes et de "révélations" sur le détail des techniques d’investigation ou les particularités de certaines organisations criminelles.

C’est à la fois dense et efficace, et j’avoue m’être bien fait avoir par l’ultime dénouement.

Un autre titre pour découvrir Olivier Norek : Code 93 

J’ai eu le plaisir de faire cette lecture en commun avec Enna : son avis est ICI.