"Le temps qu’il fait à Middenshot" - Edgar Mittelholzer

"Rien de plus fourbe que les gens calmes. Ils sont laids mais ça leur est égal."

C’est la première fois que je lis un auteur originaire du Guyana. Ce fut une belle rencontre.

Comme son titre l’indique, la météo a une très grande importance dans ce récit, divisé en trois parties dont chacune subit les assauts d’un épisode climatique -vent, brouillard, puis neige- dont les manifestations sont abondamment dépeintes, à renfort de métaphores aussi surprenantes qu’envoûtantes…

"L'air froid sentait la feuille déchiquetée, l'arbre blessé, la plante violée par le vent."

"Un soleil décoloré, semblable à une goutte d'huile de ricin coagulée, éclairait par moments le paysage convalescent."

Middenshot est un petit village (fictif) d’Angleterre, l’auteur braquant sa focale sur le microcosme que constitue un de ses lieux-dits, Pine Tree. Le hameau compte deux maisons. Le maître de celle des Jarrow, Hubert, a subi dix-sept ans auparavant un accident qui l’a laissé aléatoirement boiteux, et convaincu de la mort de son épouse. Or non seulement cette dernière est bien vivante, mais elle vit toujours à ses côtés, ne devenant visible qu’à l’occasion des séances de spiritisme qu’organise, pour communiquer avec elle, ce mari qu’elle n’a jamais cessé d’adorer. Le reste du temps, Hubert s’adonne à son obsession pour la violence, collectionnant de petits ossements d’animaux -de préférence ceux qui gardent des traces de décomposition- et les articles de journaux relatant les faits divers les plus sordides. Leur fille Grace, trentenaire célibataire au physique ingrat, qui passe une grande partie de son temps à tricoter, complète le foyer.

C’est Mr Holme qui occupe la seconde maison de Pine Tree. A cinquante ans passés, ce veuf à fine moustache est encore fringant. Ancien policier, il se consacre dorénavant à sa très coûteuse passion pour les orchidées. Sa solitude lui pèse, mais il a jusqu’à présent repoussé les avances de la jeune Hyacinthe, qui joue éhontément de sa coupe affriolante lorsqu’elle vient faire son ménage. C’est sur Grace, dont la tranquillité laisse présager la vie de couple simple et paisible à laquelle il aspire, qu’il a des vues, au grand dam de Hubert, qui profite de l’impunité que lui donne sa soi-disant maladie mentale pour jouer des tours pendables à son voisin.

La vie du hameau est bientôt troublée par la probable présence, dans les bois alentours, d’un dangereux meurtrier évadé de l’asile voisin.

Edgar Mittelholzer joue avec les codes du roman gothique, auxquels il associe un humour aussi macabre que burlesque, pour nous livrer un récit au ton très original. Les situations et les dialogues font penser tantôt à un vaudeville, tantôt à un sombre thriller. La narration n’est pas en reste, question originalité, la voix des différents protagonistes se succédant souvent sans transition, et pourtant sans jamais perdre le lecteur. Des dialogues aux répliques tranchantes alternent avec des monologues parfois fantasmagoriques, le rêve ayant tendance à s’entremêler à la réalité, l’auteur entretenant par ailleurs le mystère quant à la soi-disant folie d’Hubert, personnage qui acquiert au fil du récit une dimension de plus en plus glaçante.

Un texte inventif et déroutant, porté par une grande maîtrise, hanté par la question de notre rapport à la violence, et par la quête aussi vaine qu’obsessionnelle d’une réponse à opposer au Mal.


Commentaires

  1. On dirait que vous avez déniché une pépite Le bouquineur et toi. Ton billet donne très envie de lire ce roman.

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    1. Il n'y a sans doute que sur les blogs où de tels titres sont mis en avant... profitons-en !

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  2. Je l'avais repéré (éditeur marseillais) et failli le lire, je crois. Tu donnes plutôt envie de remettre la main dessus !

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    1. Ah, j'ignorais que les Editions du Typhon étaient marseillaises... je m'en vais fureter dans leur catalogue, s'il est à l'avenant de ce titre, je suis preneuse d'autres découvertes !

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  3. Haaaa ! Quand même intriguée par le libellé "Guyana" sur mon blog, j'ai cliqué et j'ai lu un autre titre de l'auteur !
    https://chezmarketmarcel.blogspot.com/2019/04/cetait-moi-tout-seul-qui-elaborais-un.html
    Mon billet est plutôt positif mais je me souviens quand même que c'était assez vaporeux, avec un récit pas assez structuré.

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    1. Je viens d'aller lire ton billet, et constate que le titre que tu as lu (que j'avais repéré en librairie, il est sorti en poche) semble compter plusieurs points communs avec celui-là : l'importance du vent, l'atmosphère vaguement horrifique.. en revanche, j'ai trouvé ce titre très bien structuré !

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  4. Réponses
    1. Oui.. à vrai dire, je croyais que c'était toujours un territoire britannique mais non, c'est un pays indépendant depuis 1966.

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  5. J'aime beaucoup la couverture et ce que tu en dis m'intrigue énormément et c'est un euphémisme. Codes du roman gothique et humour macabre, en voilà un mélange qui m'intéresse !

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    1. J'espère que tu concrétiseras ton envie, ce titre mérite vraiment le détour !

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  6. J'avais adoré ce roman dont je te livre la conclusion de mon billet : "Excellent roman, une découverte totale pour moi, une lecture indispensable pour vous !"

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    1. Je n'ai pas regretté une seconde d'avoir suivi ton injonction !

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  7. Pressé d'approuver ton billet, je n'avais pas vu que tu me mentionnais.... Moi aussi je te dis merci !

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  8. Gothique, ce n'est pas pour moi, mais j'admire la couverture de ce roman. Une belle création éditoriale !

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    1. Oui, c'est aussi un objet livre de qualité... les petites maisons d'éditions font souvent de beaux efforts dans ce domaine.

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  9. quand les blogs se mettent à plusieurs pour nous faire découvrir un roman cela devient contagieux !

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    1. Et je trouve ça d'autant plus stimulant quand c'est un titre injustement méconnu !

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