"Nos insomnies" - Clothilde Salelles
"Une partie de mon enfance se déroula dans une ambiguïté fondamentale : à ne pas savoir si mon père était ou non de l’autre côté de la cloison."
Un espace urbain en voie d’expansion, les projets de construction de lotissements grignotant peu à peu les résidus de verdure. Le quotidien y est délimité et calfeutré, les extérieurs souvent déserts. Aucun lien solide n’en soude les habitants, que l’on reconnaît à leurs voitures. Malgré les envies de départ, personne ne semble quitter cette banlieue, que ses voies de passage -le RER vers Paris, le chemin devant la maison, la départementale menaçante…- isolent plus qu’elles ne l’ouvrent à l’ailleurs.
C’est là qu’est la maison. Ses habitants sont innomés, ramenés à leur place dans la composition familiale : "la mère", "le père", "les jumeaux" et le "je", tout aussi anonyme, de la fille aînée, âgée de huit ans au début du récit. La maison abrite un secret, qui est aussi un tabou, celui des insomnies qui hantent les nuits des parents et de la narratrice.
Il y a aussi et surtout un mystère autour du père, distant et silencieux, qui a peu à peu déserté son travail pour s'installer à domicile, enfermé toute la journée dans un bureau d’où ne filtre aucun bruit. Ce n’est qu’à l’occasion des vacances d’été, passées à la mer, qu’il participe aux événements de leur vie. S’instaure alors une interaction avec cet être mystérieux qui soudain se transforme en pitre, en lecteur, en randonneur… Mais hors de cette parenthèse, les enfants ne savent quasiment rien de lui, une ignorance qui pour la narratrice prend toute la place, vide qui se métamorphose en un plein indéfinissable et vaguement inquiétant. Alors elle traque les indices de la matérialité paternelle, cherche des preuves de ce qu’il est, pour lui donner consistance et familiarité, le suit discrètement lorsqu’il part promener l’énorme chien qui semble être le seul à bénéficier de ses instants de présence au monde…
L’existence dans la maison est à la fois feutrée et comme plombée d’une sourde menace dont on ne parvient pas à définir les contours, qui semble se cristalliser autour de certains mots -mairie, lotissement, couloir aérien…- qui deviennent les symboles du détraquement guettant le fragile équilibre de cet univers familial ordonné autour du père et de sa hantise du bruit, imposant que le silence devienne l’entité qui gouverne leur vie, le prisme à travers lequel les événements sont jugés, appréhendés.


Jamais vu ce premier roman, bon, à essayer!
RépondreSupprimerL'auteure était passée à La grande librairie, mais c'est en la rencontrant sur un petit salon à Arcachon que j'ai eu envie de lire son roman. On a d'ailleurs plus discuté du roman de Constantin Alexandrakis (présent en même temps qu'elle sur le plateau de LGL), que nous avions lu et aimé toutes les deux, que de son propre livre... Une chouette découverte en tous cas...
Supprimerun premier roman prometteur!
RépondreSupprimerOui, je ne sais pas s'il sera suivi d'autres, mais je vais surveiller ça, c'est sûr..
SupprimerUn choix de couverture vraiment inhabituel... quel est cet éditeur ?
RépondreSupprimerC'est Gallimard, dans sa collection L'arbalète, dont la ligne éditoriale est, je cite : "... des textes de fiction, des premiers romans et une attention particulière accordée aux formes neuves"...
SupprimerCe qui est troublant, quand on voit l'auteure, c'est sa ressemblance avec la fillette de la couverture...
Je me souviens en avoir entendu parler à sa sortie... il est parfait pour l'activité sur les villes (et leurs banlieues !)
RépondreSupprimerIl a été mis en avant par La grande librairie, comme évoqué ci-dessus, et dans le Book club de France Culture, entre autres, lors de sa sortie, mais n'a pas été si lu que ça, j'ai l'impression... il mérite le détour en tous cas. J'ai trouvé le ton très juste.
Supprimerça m'a l'air un peu oppressant
RépondreSupprimerOui, une oppression qui tient autant à la dimension tragique des faits qu'à l'impossibilité de les comprendre et de pouvoir mettre des mots dessus..
SupprimerUn premier roman prometteur...cela fait plaisir de découvrir de nouvelles plumes. Merci de nous présenter ce titre dont je n'avais pas encore entendu parler
RépondreSupprimerJe serais ravie de lui permettre de faire un petit bout de chemin...
SupprimerCa me donne envie de le lire, mais aussi de voir une rediffusion de l'émission. Avec deux auteurs qui t'ont convaincue, elle devait être très intéressante!
RépondreSupprimerOui, il y avait aussi Vanessa Springora et Lola Lafon. Et le roman de Constantin Alexandrakis est vraiment très fort et très original....
SupprimerMerci pour cette mise en lumière, je note ce titre.
RépondreSupprimerCa me réjouit, il mérite d'être mis en avant..
SupprimerIl y a pas mal de nouveaux auteurs et donc de premiers romans !
RépondreSupprimerC'est vrai, et ce n'est pas facile de faire le tri... heureusement que les blogs sont là ! :)
SupprimerTa chronique suscite ma curiosité, je me pencherai dessus en librairie ou à la bibliothèque.
RépondreSupprimerC'est un très bon premier roman, au ton juste, à la fois sobre et éloquent..
SupprimerJe n'aurais pas forcément prêté attention à ce roman mais je suis assez intriguée par son histoire autour de cette vie ou plutôt de cette absence de vie dans une maison familiale où le père absent (du moins symboliquement) semble, paradoxalement, très présent par ses exigences.
RépondreSupprimerL'auteure capte avec beaucoup de talent ce paradoxe paternel, cette "absence" qui devient si imposante qu'elle vampirise l'esprit de la narratrice..
SupprimerJe n'ai pas vu passer ce livre (je ne regarde plus la Grande Librairie). Il est intrigant, je vais voir du côté de la bibli.
RépondreSupprimerJe pense qu'il pourrait te plaire, c'est un texte aussi sobre que sensible.
SupprimerAah là j'avoue, je ne le sens pas trop pour moi et ça ne m'attire pas vraiment, mais elle semble être une autrice à suivre. A voir pour ses prochains romans.
RépondreSupprimerA suivre en effet, car sa plume est prometteuse ...
SupprimerComme la plupart des autres blogueuses, je n'avais jamais entendu parler de ce titre ( et je ne regarde pas la grande librairie, j'oublie tout le temps ...) mais tu m'intrigues. Je me demande juste si les fautes de langage ne sont pas trop présentes ... Je peux tiquer facilement sur ce genre de parti pris ( et bêtement).
RépondreSupprimer(Je regarde La grande libraire en différé, ou je l'écoute en podcast, en fonction du thème et des invités...).
SupprimerEt pour répondre à ta question, les "fautes" de langage ne sont pas du tout envahissantes, elles apparaissent de temps en temps, et toujours pour désigner les mêmes mots, il n'y a donc aucun effet de saturation. J'ai trouvé dans l'ensemble le ton très juste, on se laisse facilement embarquer par l'écriture sobre mais pas simpliste.