"La végétarienne" - Han Kang

"J’ai l’impression que je suis devenue quelqu’un d’autre qui jaillit du fond de moi pour me dévorer."

C’est par trois regards successifs que nous approchons l’héroïne du roman de Han Kang.

C’est son (insupportable) époux qui s’exprime d’abord, insistant sur la parfaite banalité de sa femme, dépourvue de charme comme de tout défaut notable. C’est d’ailleurs cette absence de singularité qui l’a poussé à l’épouser. Il a ainsi évité que la personnalité de sa femme fasse de l’ombre à la sienne, tout aussi terne, et s’est assuré de sa docilité dans l’accomplissement des tâches lui incombant, et se résumant à prendre soin de son mari. Et voilà qu’un matin, cette femme dont l’unique transgression consistait à ne pas porter de soutien-gorge refuse soudainement d’ingérer tout aliment d’origine animale. Aucune justification concrète ne vient expliquer ce comportement, elle précise simplement avoir "fait un rêve". Plus qu’une décision, c’est un impératif, qui s’impose à elle de manière aussi viscérale qu’énigmatique. Elle s’entête, oppose aux efforts de son mari pour la convaincre de reprendre une alimentation "normale" une inébranlable force d’inertie. Elle maigrit, alterne entre insomnies et cauchemars hantés de scènes violentes et sanglantes, se refuse à un mari qui, prétend-elle, sent la viande jusque dans ses pores, ce dont ce dernier s’accommode en la prenant de force… Appelée à la rescousse, la famille de la jeune femme échoue tout autant à la faire changer d’avis. Son père, homme brutal et autoritaire, emploie alors une violence qui scelle la rupture avec ses parents.

La deuxième partie nous transporte deux ans plus tard, aux côtés du beau-frère de l’héroïne, artiste en mal d’inspiration obsédé par la tâche mongolique qui selon son épouse ornerait la chute de reins de sa belle-sœur, et dont la simple évocation lui procure de sensuelles et puissantes visions.

La sœur de Yŏnghye, qui enfin désigne par son prénom celle qui jusqu’à présent n’avait été définie que par son lien avec les deux personnages masculins -comme femme puis comme belle-sœur- clôt le récit, en une tentative pour ramener la jeune femme dans une "normalité" sur laquelle elle finit elle-même par s’interroger.

Vous l’aurez compris, ce n’est pas de végétarisme dont il est ici question, mais d’une volonté puissante, instinctive, de se défaire des codes d’un monde qui réduit la femme à ne se définir qu’en fonction des hommes, de rompre avec une brutalité dominatrice et viriliste dont la consommation de viande est un attribut emblématique. Yŏnghye veut se débarrasser de toute superfluité corporelle, aspirant à devenir végétale, n’être plus prisonnière d’un corps que l’on peut soumettre, instrumentaliser selon ses besoins ou ses fantasmes. 

Troublant, sensuel et sombrement poétique.


Commentaires

  1. Pas sûr que j'accroche bien. j'ai emprunté un autre de ses romans, et bah, d'autres m'attiraient plus.

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  2. Un livre que je souhaite lire depuis longtemps ! Peut-être l'année prochaine ?

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  3. J'aime bien la littérature asiatique mais ce roman ne m'a jamais attirée. Je trouve l'histoire trop bizarre voir malaisante...

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  4. je n'aurais pas pensé à ce contenu, intéressant!

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