"L'intérêt de l'enfant" - Ian McEwan
Un homme d'esprit...
Pas toujours facile d'expliquer pourquoi McEwan est, incontestablement, un GRAND écrivain.
Prenez "L'intérêt de l'enfant", par exemple...
Voilà un titre qui a été analysé, résumé, apprécié à de nombreuses reprises sur la blogosphère depuis sa sortie, et je cherche ce que je pourrais bien vous dire pour éviter la redondance. Pour exprimer avec le plus de justesse et de précision possible ce qui fait que ce roman porte bien la marque de son auteur...
Je crois que je peux le résumer en une phrase : McEwan s'adresse à notre cerveau plus qu'à notre cœur. Postulat qui a priori peut sembler peu vendeur... Qu'est-ce en effet que la littérature sans émotions, me direz-vous ? A quoi bon la lecture, si elle ne procure pas quelques frissons ?
Ou peut-être ne direz-vous pas cela du tout, si comme moi, vous attendez aussi de la littérature qu'elle vous stimule intellectuellement, qu'elle vous permette de remettre en cause vos certitudes, ou d'aiguiser votre sens de l'analyse sur des problématiques que vous n'avez sans doute pas l'occasion d'aborder chaque jour avec vos adolescents ou vos collègues de travail...
"L'intérêt de l'enfant" ne fait ni pleurer, ni sourire (ou en tous cas, pas beaucoup !). C'est un livre qui, à l'instar d'un "Samedi" ou d'un "Enfant volé", fait surtout réfléchir. Ses personnages ne suscitent pas une folle empathie, mais ils nous intéressent. La précision objective, rationnelle, avec laquelle l'auteur transcrit leurs pensées, leurs sentiments, éveille chez le lecteur une saine curiosité, l'invite à une observation bienveillante et ouverte.
Bien sûr, ses héros éprouvent des émotions, et peuvent nous toucher, mais il s'attache surtout à en faire des êtres pensants et profondément matures en transcrivant, davantage que leurs émotions pures, leurs cheminements intellectuels.
Son héroïne illustre à merveille cette volonté : de par sa profession, Fiona Maye, juge aux affaires familiales, s'efforce, à chaque affaire, de faire primer le droit, et surtout l'intérêt de l'enfant -sacro-saint credo-, sur les émotions, et les considérations d'ordre social, familial ou religieux. A presque soixante ans, elle est une magistrate reconnue et accomplie, aux dépens d'une vie personnelle qu'elle néglige quelque peu, ainsi que le lui reproche son époux. Chargée de statuer dans une affaire de refus de transfusion sanguine par un adolescent témoin de Jéhovah et atteint d'une leucémie, elle va devoir affronter ses propres questionnements quant à sa capacité à rester neutre et objective... C'est d'ailleurs un beau personnage que compose Ian McEwan, avec cette figure de femme forte mais humble, car exigeante envers elle-même, en quête d'une probité qu'elle sait difficile à atteindre.
Mais son intrigue est avant tout un prétexte à s'interroger sur la responsabilité non seulement des juges, mais aussi de l'ensemble des instances censées assurer le bon fonctionnement du droit et la préservation de l'intégrité des plus faibles. Où s'arrête cette responsabilité ? Dans quelle mesure un magistrat doit-il se sentir concerné par les conséquences de l'une de ses décisions ? Quelle est la part de sentimentalité, même inconsciente, dans la prise de ces décisions ?
Ian McEwan n'apporte pas de réponse. Comme vous l'aurez compris, il préfère nous laisser cogiter...
>> D'autres titres pour découvrir Ian McEwan:
ça existe le mot dissécateur ( de disséquer) ? L'écriture de Mc Ewan me fait penser à cela, et surtout dans ce roman çi ; il te prend un sujet, le plonge dans une expérience et regarde où ça fait mal. Le personnage de l'adolescent est très troublant également, j'avais trouvé. Un bon roman, en tout cas !
RépondreSupprimerOui, ce n'est pas pour moi son meilleur (j'ai préféré, dans le même style, Samedi, qui parvient à être plus dense alors qu'il ne s'y passe quasiment rien, un vrai tour de force !), mais je l'ai vraiment apprécié, McEwan a un don pour nous pousser à l'analyse et à disséquer, comme tu dis, son sujet, sans jamais tomber dans la lourdeur rhétorique.
Supprimer"McEwan s'adresse à notre cerveau plus qu'à notre cœur." C'est peut-être peu vendeur mais cela titille ma curiosité. J'ai effectivement lu beaucoup de bien à propos de ce roman, et ton avis apporte sa pierre à l'édifice. Il ne me reste plus qu'à le lire maintenant, d'autant plus qu'il est dans ma PAL !
RépondreSupprimerJ'exagère un peu (volontairement, pour servir ma démonstration), mais effectivement, en additionnant les avis sur ce titre, cela te donne une bonne vision de ses multiples qualités
Supprimerj'ai beaucoup aimé ce roman et je l'ai trouvé très près de la réalité dans l'exposé de la situation pour l'avoir vécu dans mon travail
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il sonne très juste... je ne sais pas si l'auteur a préparé son sujet en côtoyant le milieu qu'il décrit, mais connaissant son sens de la précision, j'imagine que oui.
SupprimerOui, c'est un livre qui questionne et fait réfléchir, mais qui sait aussi être touchant... A ce titre, avec le personnage de Fiona, il dresse un beau portrait de femme, une femme à poigne tout à coup déstabilisée par des sentiments nouveaux et violents, inconnus d’elle jusqu'alors. Quelques fulgurances traversent aussi son récit : la pluie qui tombe, la musique et la poésie, une promenade...
RépondreSupprimerComme je l'écris plus haut, je force un peu le trait dans mon billet... mais tu as raison, on trouve aussi dans ce roman de beaux moments d'émotion.
SupprimerMon coup de coeur 2015, sans hésiter !
RépondreSupprimerJe ne dirai pas que c'est personnellement un coup de cœur, juste un très bon roman (ce qui n'est déjà pas mal !!) mais j'ai tendance à me montrer très exigeante avec McEwan, que je sais capable d'écrire des textes extraordinaires..
Supprimer