LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Des hommes sans femmes" - Haruki Murakami

"Si nous voulons vraiment voir l'autre, nous n'avons d'autre moyen que de plonger en nous-mêmes".

C'est toujours un plaisir de retrouver Haruki Murakami. 

Son dernier titre, présent sur ma PAL, étant un recueil de nouvelles, l'activité organisée par Marie-Claude et Electra autour de ce genre littéraire était l'occasion rêvée de l'en sortir. Et j'en suis ravie, puisque cette fois encore, le charme a opéré.

Les textes de ce recueil sont des variations autour de la perte d'une femme aimée, provoquée par la mort, la trahison, l'abandon, ou par les hasardeuses circonstances de la vie. Divorce, veuvage, rupture, regret d'un amour de jeunesse constituent ainsi le fondement de la plupart de ces histoires, dans lesquelles l'auteur met surtout en évidence leurs répercussions, après leur survenance, sur l'existence des personnages et sur la perception qu'ils ont d'eux-mêmes. 
"Voilà au fond ce que signifiait perdre une femme. Les femmes vous dispensaient des moments très particuliers, durant lesquels vous étiez plongé en pleine réalité alors qu'en même temps cette réalité était annulée".
Ces séparations mettent en lumière l'importance, pour ces hommes, de la rencontre et de la relation entretenue avec l'être aimé, et de la manière parfois radicale dont elles ont modifié le cours de leur vie. Ainsi ce médecin coureur de jupons qui, faisant tardivement l'expérience du coup de foudre, pour une femme qui finit par le rejeter, se laisse littéralement mourir de faim, en quête d'un absolu dont il a perçu la possibilité à travers sa découverte du sentiment amoureux. La plupart affrontent cependant leur solitude moins drastiquement, en concrétisant des envies jusqu'alors restées à l'état de projet -comme cet homme qui reprend le bar de sa tante pour en faire un lieu intimiste, qui lui ressemble-, ou en cherchant à percer les mystères de la disparue, tel cet autre qui noue une curieuse amitié avec le dernier amant de sa défunte femme.
"Peut-être que persévérer à travailler sur de toutes petites choses, honnêtement, consciencieusement, permet de garder toute sa tête tandis que le monde se défait".
Mais que ces récits évoquent des tragédies ou des expériences simplement marquantes, ils s'inscrivent tous dans l'univers "Murakamien", que façonne ce ton si reconnaissable, oscillant entre une mélancolie étrangement apaisée et l'évidente volonté de porter sur les héros un regard sincère, lucide, sans complaisance et en même temps très respectueux. Ces derniers affichent généralement une maturité et une nature pacifique les rendant capables d'une vraie capacité à l'introspection et à la remise en question, mais aussi d'une réelle ouverture aux autres. A l'image de leur caractère, "Des hommes sans femmes" est ainsi dénué de toute hystérie, de tout parfum de scandale, ou de vengeance : même si la passion, la détresse, et certaines formes de folie ou d'obsession y sont présentes, elles sont comme reléguées à l'arrière-plan, l'auteur préférant analyser la manière dont ses héros assument et dépassent -ou pas- ces épreuves avec le recul que permet le temps ou la distance, en faisant intervenir un narrateur indirectement impliqué dans les événements relatés, ou en reléguant ces derniers dans un passé plus ou moins proche.

On retrouve aussi dans ce recueil nombre d'éléments qui seront familiers aux lecteurs de Murakami : la musique y est omniprésente, ponctuant de références significatives instants et souvenirs, et forcément, avant la fin de l'ouvrage, vous aurez croisé au moins un chat, surgi comme par hasard au moment opportun, et trouvé dans quelque tiroir de banals objets du quotidien -une gomme, un badge de foot...- se parant d'une dimension symbolique, voire érotique...

Si vous espérez vivre avec ce titre des sensations fortes, sombrer dans la violence des déboires conjugaux, assister au grandiloquent désespoir des délaissés de l'amour, passez votre chemin. En revanche, si comme moi, vous appréciez la musicalité douce-amère, sans ostentation, de l'écriture d'Haruki Murakami, et sa capacité aux analyses à la fois sensibles et intelligentes de la psychologie humaine, ce titre est pour vous ! 
"Seuls les hommes sans femmes peuvent comprendre à quel point il est déchirant et horriblement triste d'être un homme sans femmes. D'avoir perdu le merveilleux vent d'ouest. D'être privé pour l'éternité (...) de ses quatorze ans. D'entendre dans le lointain le chant des marins, chargés d'une douloureuse mélancolie. (...) D'être appelé à 1 heure du matin. (...) De verser des larmes sur une route sèche tout en vérifiant la pression de ses pneus."

Comme indiqué en préambule à ce billet, cette lecture me permet de participer au Mois de la nouvelle :


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Commentaires

  1. C'est toujours un plaisir de retrouver Murakami, oui. Sauf avec ce recueil qui m'est complètement tombé des mains... :-(

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    1. Mince alors, j'ai pourtant trouvé que l'auteur y excelle dans cette atmosphère d'entre-deux dont il est spécialiste, entre mélancolie et mystère...

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  2. Il m'attend sur mon Kindle (en anglais) depuis sa sortie. A lire ton billet, je suis certaine que je ne serai pas déçue. (Et avec le scandale, ce n'est pas cette année que Murakami aura son prix Nobel.)

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    1. J'espère que le plaisir sera au rendez-vous, comme il l'a été pour moi... et du coup j'ai appris quelque chose, je n'avais pas entendu parler de "l'affaire Nobel", je me suis juste étonnée hier de voir sur Wikipédia que la remise de cette année était reportée à 2019, à l'occasion d'une recherche que je faisais justement sur les prix Nobel de littérature, mais j'avoue n'avoir pas alors cherché à savoir pourquoi...

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  3. Cette chronique donne très envie ! Merci beaucoup ! :)

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    1. Mais avec plaisir, j'espère que vous ne serez pas déçue, et bienvenue ici !

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  4. Je l'ai lu, j'avais trouvé bien, mais sans plus. Ce n'est pas mon Murakami préféré... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Je ne dirai pas non plus que c'est mon titre préféré, j'aime bien Murakami dans le long format, mais je trouve qu'il parvient parfaitement à condenser en peu de pages tout ce qui fait le charme de son écriture..

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  5. J'ai lu quelques titres de l'auteur mais il me manque les "essentiels". Il faut que j'y remédie. Merci pour ce rappel ;) belle journée à toi !

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    1. Je ne sais pas quels titres tu as lus, et il m'en reste aussi quelques-uns à découvrir, mais en ce qui me concerne, les "essentiels" sont notamment Kafka sur le rivage, Chroniques de l'oiseau à ressort (bien que moins abordable que "Kafka") et La fin des temps.

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  6. Rien à faire je n'accroche pas du tout à l'univers de Marukami. Ce n'est pas un auteur pour moi, je dois me faire une raison...

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    1. Je comprends, je suis moi-même parfois étonnée de l'aimer à ce point, sachant que je suis habituellement plutôt adepte des textes "forts", voire, à l'occasion, violents, glauques...

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    2. Comme Jérôme, y a rien à faire. Mais peut-être que je tenterai le coup à nouveau, mais cette foi avec des nouvelles!

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    3. C'est en effet le genre idéal pour découvrir un auteur. J'ai lu il y a assez longtemps son autre recueil "Après le tremblement de terre", mais je n'en ai pas gardé un souvenir très précis, il me semble juste que j'avais trouvé l'ensemble inégal. Les éditions 10-18 ont sinon sorti deux de ses courts textes, illustrés, notamment "Sommeil", qui est un bon titre à mon avis pour "tester" le style et l'ambiance Murakami..

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  7. j'adore l'univers de Murakami (découvert avec "Kafka sur le rivage" : magique) donc ce livre aboutit forcément dans ma PAL :-)

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    1. Dans ce cas il devrait te plaire, et moi aussi j'ai été complètement séduite par Kafka sur le rivage, 1er titre avec lequel j'ai découvert l'auteur (lu avant l'existence du blog et donc non chroniqué ici).

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