"La Saga de Youza" - Youozas Baltouchis
Une réconfortante rusticité.
![](https://4.bp.blogspot.com/-MCO_DYQk0zA/XHpon7OwDHI/AAAAAAAAH2s/YXf_BK_bWLYneBOX1SlGpPNdSuYRiukNwCLcBGAs/s320/youza.jpg)
Peu importe. Youza emporte, sur l'insistance de son frère -car lui ne réclamait que les vieilles rosses que compte leur héritage-, l'un des meilleurs chevaux et l'une des meilleures vaches du cheptel familial sur le Kaïrabalé, et commence à y construire sa maison. Travaillant sans relâche, doué pour tirer le meilleur parti de cette terre en réalité généreuse, il en fait peu à peu un petit paradis, sa ferme simple mais spacieuse et confortable s'entourant de cultures et de bétail fertiles, qui lui permettent non seulement de subvenir à ses besoins mais aussi de produire avec suffisamment d'abondance miels, fromages, confitures, beurre, lin, seigle..., pour se constituer d'importantes réserves, tout en vendant ses produits au marché.
Les années passent. La solitude de plus en plus grande de Youza, qui était déjà taiseux, à l'instar de tous les hommes de la famille, entretient sa misanthropie et son mutisme. Il devient, pour ceux du village qu'il a quitté, une sorte de curiosité, électron libre car totalement autonome, se soumettant à l'unique loi du labeur, sa vie étant rythmée par le travail, le cycle des saisons, et par le souvenir de Vinstiouné qui régulièrement le hante. Son cœur s'assèche, la vision qu'il a des hommes et des femmes, ne se nourrissant plus d'échanges avec ses semblables, en devient parfois étriquée. Son incapacité à communiquer est à l'origine de malentendus dramatiques, d’incompréhensions, notamment avec son frère auquel, pris d'une avarice qui semble difficilement excusable, il refuse de venir en aide lors du remembrement des terres puis de la collectivisation imposés par les soviétiques, ce qui le ronge ensuite de remords. Et c'est avec une brutalité non moins atterrante qu'il repousse la jeune Karoussé, qui s'est curieusement prise pour lui d'une passion qui la perdra...
Il faut dire qu'au-delà du Kaïrabalé, l'agitation des hommes provoque de nombreuses mutations, dont les conséquences sont parfois tragiques pour les lituaniens, qui subissent à la fois luttes intestines et occupations diverses des années 20 à celles qui suivront la seconde guerre mondiale. Devenu pour certains l'ultime refuge, le foyer de Youza accueille alors les fuyards que les bouleversements historiques mettent en danger... Lui qui vit comme hors du temps se retrouve alors confronté, contre son gré, à la frénésie du monde, dont il ne comprend ni les enjeux ni les mécanismes. Il ne se soumet qu'à ses propres principes, à sa propre logique, qui peut de prime abord paraître un peu simpliste, mais qui se révèle d'une salvatrice droiture pour les victimes des haines et des combats que déterminent des intérêts et des idéologies auxquels il oppose son bon sens abrupt mais dénué de toute malveillance, et finalement humaniste.
C'est ainsi que l'on s'attache à cet homme rustre et parfois avare qui, s'il rumine ses erreurs, ne se glorifie jamais de ses courages et de ses générosités, un homme simple qui trouve avec une raisonnable naïveté son contentement dans sa participation à un ordre naturel auquel il s'est parfaitement adapté, et dans la récompense qu'il tire de son travail.
Porté par une écriture limpide, mais que rend foisonnante l’omniprésence d'un règne végétal et animal dont Youozas Baltouchis nous imprègne par ses sons, ses odeurs, ses images, "La Saga de Youza" est l'occasion d'une dépaysante incursion aux côtés d'un héros que je n'oublierai pas de sitôt...
Un grand merci à Eva, Patrice et Goran grâce auxquels j'ai gagné ce titre à l'occasion du Mois de l'Europe de l'Est 2018. Cette lecture est par ailleurs ma première participation à l'édition 2019 :
Commentaires
Blue Grey en a également parlé récemment : https://lecridulezard.fr/2018/10/11/roman-vilnius-poker-ricardas-gavelis/
Je note pour ce que tu dis du héros et pour "l’omniprésence d'un règne végétal et animal" ....en plus s'il y a des chevaux :-)