LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le vieux nègre et la médaille" - Ferdinand Oyono

Conte cruel...

Meka, homme d'âge mûr, vétéran de guerre, dont les deux fils ont perdu la vie en combattant pour la France, a été désigné pour recevoir une médaille que le grand Chef des blancs en personne viendra lui remettre lors des cérémonies du 14 juillet qui se dérouleront dans la ville la plus proche de Doum, son village. Une reconnaissance pour cet homme que les Blancs considèrent non seulement comme un ami grâce à son engagement dans l'armée française, mais aussi comme un bon chrétien, depuis qu'il a donné ses terres aux prêtres de la Mission catholique de Doum. Assistant par ailleurs à l'office chaque dimanche, il s'autorise malgré tout de régulières incursions chez Mami Titi pour y boire de l'alcool interdit par l'église, mais qui soulage tellement ses rhumatismes... et puis le curé lui-même, à confesse, a affirmé qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien, tant qu'on ne verse pas dans l'excès...

Le bouche-à-oreille ayant fait son oeuvre, la rumeur de la gratification de Meka court de village en village, jusqu'à celui de son beau-frère Engamba, qui, pour assister à la cérémonie, prend aussitôt la route, à pieds, accompagné de sa femme et d'un bouc à offrir au futur médaillé. L'annonce a mis en émoi toute la zone alentour : côtoyer Meka, ne serait-ce qu'à titre de connaissance, sera désormais l'assurance de jouir de privilèges et d'un certain respect. La veille de la cérémonie, la case du vieil homme et de sa femme n'est pas assez grande pour accueillir les amis, parents et voisins, qui s'y sont invités à manger et dormir.

Après la remise de la médaille, dans des circonstances éprouvantes pour notre héros qui a dû supporter une longue attente sous le soleil, chaussé de mocassins inadaptés à ses pieds déformés et tiraillé par une envie pressante, son état d'esprit bascule... Le mépris à peine dissimulé qu'il suscite chez certains blancs alors présents, l'hypocrisie et l'infantilisation qu'il est soudain conscient de subir, le plombent d'une amertume qu'exacerbe l'arrestation dont il est la victime suite à un malentendu. Il réalise alors l'injustice qui les touchent, lui et les siens, et le chemin qui a été parcouru depuis la génération qui les a précédés : lui, l'héritier d'une grande lignée, dont le père a combattu les blancs, est devenu non seulement leur larbin, mais s'est en plus montré prêt à recueillir dévotement les miettes d'une reconnaissance fondée sur sa soumission et son renoncement à sa culture, à ses valeurs, à son mode de vie. 

D'une écriture limpide, en un enchaînement d'épisodes vivants, dépaysants et souvent truculents, mettant en scène des personnages haut en couleur, aussi prompts à rire qu'à se lamenter, Ferdinand Oyono donne à son récit des allures de conte, dont la morale, plutôt que d'être édictée, émane naturellement des faits qui sont relatés. 
  
Publié en 1956, au début des événements menant à l'indépendance camerounaise que la République Française comme celle du Cameroun refusent de désigner par le terme de "guerre", malgré les milliers de morts qu'ils provoquèrent, "Le vieux nègre et la médaille" rencontra à sa sortie un succès bien mérité.

Commentaires

  1. Oooh mais voilà une découverte intéressante côté littérature africaine ! Le titre de loin m'avait déjà attirée, il est très parlant, il évoque déjà beaucoup de choses mais ça semble encore plus truculent qu'il n'y paraît à la lecture de ton billet. Je n'avais pas cet auteur en tête côté littérature africaine mais je le rajoute immédiatement à mes auteurs à découvrir.

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    1. C'est un récit très vivant, qui se lit facilement, ce qui n'amoindrit pas pour autant son propos. Je l'ai choisi par hasard au rayon africain de la librairie, dans le cadre de ma résolution de lire davantage de littérature de ce continent en 2019, sur la base de la 4e de couverture, du fait qu'il soit sorti en poche, et de son nombre de pages (je me suis dit que s'il me plaisait moyen, autant qu'il ne soit pas trop long !) et ça a été une bonne pioche ! En même temps, j'ai acheté "Les crapauds-brousse" de Tierno Monénembo, que je connais pas du tout...

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  2. Alors là tu me tentes carrément !

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    1. C'est un peu le but... je me suis fixée cette année, sans parler de résolution parce que je n'aime pas la dimension obligatoire que cela induit, mais plutôt comme souhait, de diversifier davantage mes découvertes littéraires, en lorgnant notamment du côté de l'Afrique. Si au passage, je fais quelques convertis, tant mieux ! En tous cas, ce titre est à lire, pour sa résonance historique et humaine, mais aussi parce qu'il est très plaisant.

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  3. Tu me fais découvrir un titre ! C'est très tentant. C'est noté !

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    1. Chouette, une convaincue de plus ! J'espère qu'il te plaira...

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  4. Je note quelque part... si je le trouve... Je ne suis d'ordinaire pas très attirée par la littérature africaine, mais là, ça pourrait m'intéresser.

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    1. Il est assez court, et la lecture en est très agréable, grâce à l'écriture vivante, et drôle.. j'avais noté certaines des expressions utilisées par les personnages mais j'ai égaré mon petit papier...

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  5. Je ne connais pas du tout, c'est tentant et vu sa date de parution, les points de vue étaient encore "chauds". Aifelle.

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    1. Oui, et l'auteur fait passer son propos de manière presque anecdotique, en partant de la mésaventure de son héros, qui en devient le symbole d'un peuple endormi par la soumission, qui se réveille subitement..

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  6. Durant mes 'années africaines' j'ai beaucoup lu, et forcément ce vieux nègre et la médaille; De Oyono je recommande Une vie de boy, qui devrait te plaire (et ça décape!!!)

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  7. Purée j'ai laissé un looooooog commentaire. En bref, je l'ai lu ainsi que Une vie de boy, qui décape bien... (keisha qui commente en anonyme)

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    1. J'avais reçu la notification de ton commentaire dans les "indésirables" de ma boîte mail, je ne sais pas pourquoi. Je note Une vie de boy, j'ai hésité à l'acheter tout à l'heure à l'occasion d'une virée chez Gibert, mais j'avais déjà six livres dans les bras !!

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