"Dieu, le temps, les hommes et les anges" - Olga Tokarczuk
"Si toutes les femmes se mettaient d'accord pour n'accoucher que de filles, il y aurait la paix dans le monde".
Il est des textes qui vous enchantent... qui vous emportent avec évidence, avec naturel, dans le flux de leur musicalité, qui vous subjuguent par leur capacité à faire se volatiliser les barrières entre profondeur et légèreté, entre magie et prosaïsme.
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Difficile, donc, de définir le deuxième roman d'Olga Tokarczuk. Disons, pour simplifier, qu'il s'agit d'une chronique. La chronique d'Antan, "endroit situé au milieu de l'univers" -plus précisément en Pologne-, et dont le territoire s'étend, aussi bien du sud au nord que d'est en ouest, sur une distance qui se parcourt en une heure de marche, un archange veillant sur chacune des frontières qui, aux quatre points cardinaux, le délimite. Deux rivières le parcourt, la Noire et la Blanche, qui s'unissent au pied de son Moulin. Antan compte par ailleurs un château dont le châtelain est obsédé par l'étrange et labyrinthique jeu de société que lui a donné un vieux juif pour le guérir de son mal-être existentiel, une colline aux hannetons envahie chaque été par les coléoptères lui ayant donné son nom, une forêt habitée par un être nu et velu, surnommé "le Mauvais bougre"...
De la première à la seconde guerre mondiale, nous y suivons trois générations. D'abord celle de Geneviève et Michel, propriétaires du moulin, et de la Glaneuse, belle vagabonde aux pieds nus, libre et effrontée. Puis celle de leurs enfants : Misia et son frère Isidor, dont la grosse tête et l'attitude contemplative occultent une intelligence et une sensibilité hors du commun, qu'a pourtant su reconnaître Ruth, fille de la Glaneuse, à moins qu'elle ne soit celle de Geneviève, car à Antan, les évidences sont susceptibles de fluctuer sous l'influence du surnaturel ou d'insensées certitudes dont se toquent certaines de ses âmes. Vient ensuite le temps des petits-enfants... au fil de tranches de vie qui nous immergent, par sauts de puce, d'un personnage à l'autre, dans le quotidien de ce monde rural, avec ses habitudes, ses drames, et les détails d'une routine qui fixent et rendent palpables hommes et femmes, enfants et vieillards, Olga Tokarczuk nous ancre dans son univers à la fois simple et foisonnant, mêlant l'intime aux tragédies ou aux bouleversements que suscitent les secousses du monde, tout en les dépassant, par l'ampleur d'une vision qui sonde l'existentiel, dans ce qu'il a à la fois d'infime et d'infini.
Aussi, on ne s'étonnera pas de trouver dans ses pages un ange gardien assistant à la naissance de sa protégée, ou des endroits de "génération spontanée", où la matière se crée toute seule à partir de rien, sous la forme de pierres semblables à nulle autre, de grains dotés de piquants, ou de mouches orange...
Ne refusant aucune hypothèse sur l'ossature du monde, Olga Tokarczuk questionne aussi bien sur l'essence des objets ou l'intériorité des arbres, que sur les croyances sur lesquelles reposent l'équilibre de l'homme. En fil rouge de ses réflexions, de ses explorations, le temps, et les différentes manières de l'appréhender par tout ce qui compose le monde et l'environnement, relativisant ainsi la façon dont il est jugulé et perçu par l'homme. Est-ce l'humain qui, vivant dans un éternel présent, mais déterminant sa pensée par la manière dont il ingurgite le temps, "s'étranglant avec en permanence", le rythme et le fragmente ? Ou bien le temps "passe"-t-il réellement, indépendamment de toute conscience, annihilant toute trace du passé ?
Pour autant, "Dieu, le temps, les hommes et les anges" ne verse jamais dans l'opacité d'une métaphysique absconse. La démarche de l'auteure, empreinte d'une franche curiosité, est avant tout marquée par son évidente passion pour le vivant, et en tissant des liens entre le familier et l'invisible, elle met à notre portée les clés d'un monde plus riche qui soudain nous devient accessible.
Indispensable.
Pour autant, "Dieu, le temps, les hommes et les anges" ne verse jamais dans l'opacité d'une métaphysique absconse. La démarche de l'auteure, empreinte d'une franche curiosité, est avant tout marquée par son évidente passion pour le vivant, et en tissant des liens entre le familier et l'invisible, elle met à notre portée les clés d'un monde plus riche qui soudain nous devient accessible.
Indispensable.
J'ai eu l'immense plaisir de faire cette lecture en commun avec Marilyne et Nathalie: leur avis sont ICI et LA.
Athalie l'a lu et en a aussi fait un coup de cœur.
Passage à l'Est a écrit à son propos un billet comme d'habitude très détaillé et passionnant.
Athalie l'a lu et en a aussi fait un coup de cœur.
Passage à l'Est a écrit à son propos un billet comme d'habitude très détaillé et passionnant.
D'autres titres pour découvrir Olga Tokarczuk :
C'est aussi ma première participation au Mois de l'Europe de l'Est 2020, organisé par Goran, Patrice et Eva.
Bonjour !
RépondreSupprimerJ'ai également apprécié ma lecture même si j'ai une impression un peu moins forte que la tienne (me semble-t-il). J'aime particulièrement le mélange de points de vue entre les humains, les animaux, les objets... un grand tout, un grand potage.
Bonsoir Nathalie,
Supprimeroui tu as senti mon emballement ?! J'ai adoré, un grand tout, tu as raison, mais si savamment cuisiné !
j'avoue que ton billet me dit que non, ce n'est pas pour moi.. mais un très bon billet néanmoins !
RépondreSupprimerIl est rudement bien, pourtant, mais peut-être, en effet, que ce n'est pas vraiment ta tassé de thé... à feuilleter quand même, à l'occasion, pour voir si le style t'accroche. Et rien à voir, mais je ne peux toujours pas poster de commentaire sur ton blog (je pense qu'ils se mettent dans les indésirables..)
SupprimerJ'y pense, oui, j'y pense
RépondreSupprimerNos 3 billets ne te laissent pas vraiment le choix, hein ?! Il faut le lire !
SupprimerJe l'ai commencé depuis quelques jours, et vos billets tombent bien, parce qu'ils me permettent de reprendre avec plus de fascination ma lecture. Il me manquait sans doute un peu une vision d'ensemble que j'ai trouvé en vous lisant, Marilyne et toi...
RépondreSupprimerJ'en suis ravie, et j'espère que l'enchantement sera finalement au rendez-vous, comme ça a été le cas pour nous...
SupprimerJe me retrouve totalement dans ton billet, dans cette évidence que tu cites. Enchantée, tout comme toi. Ton premier paragraphe formule exactement mon ressenti ( j'ai bien failli ouvrir aussi le billet par la même citation ). Merci pour cette lecture commune. Je lirai cette année Les livres de Jakob ( et reviendrai ensuite à ton billet ).
RépondreSupprimerC'est chouette, qu'une lecture soit ainsi l'occasion d'un coup de cœur ! J'espère que Les livres de Jakob te plaira, il a des points communs, je trouve, avec ce titre, mais est d'une densité qui lui est propre, le lire est un voyage !
SupprimerDécidément! Il y a aussi Olga Tokarczuk chez Krol.
RépondreSupprimerLe mois de l'Europe de l'Est permet de faire de belle découvertes... Je note!
Oui, une autrice à lire absolument ! Et c'est vrai, cela fait plusieurs années maintenant que je découvre moi aussi des titres grâce à l'activité de Goran, Patrice et Eva, que je n'aurais sinon probablement jamais lus..
SupprimerJe viens de lire le billet de Maryline ; vous êtes raccord toutes les deux. Je lirai cette auteure tôt ou tard, je m'en fais une idée assez ardue, peut-être à tort.
RépondreSupprimerC'est sans doute parce qu'elle aborde des thématiques complexes, mais de manière tout à fait accessible ! Ce titre en particulier est étonnamment fluide, malgré sa richesse.
SupprimerMerci pour cette superbe critique et à très vite pour une autre :-) (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerOui, la prochaine jeudi, avec un titre de Leo Perutz ! As-tu vu mon message sur le fait que j'ai déposé plusieurs commentaires chez toi qui n'apparaissent pas (et j'ai le même problème avec le blog d'Eva et Patrice) : ils ont dû se mettre dans les indésirables..
SupprimerNon, il n’y a rien... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
SupprimerTon billet me fait tout à fait retrouver ce livre que j'ai tant apprécié. J'aime beaucoup ta remarque sur sa passion pour le vivant. Encore aujourd'hui, je me souviens du passage sur le monde souterrain des champignons comme d'une belle respiration au milieu du livre.
RépondreSupprimerUn très beau passage, oui, parmi tant d'autres (j'ai bine aimé aussi la digression sur le moulin à café)... ce titre postule d'ores et déjà comme coup de cœur de l'année 2020 !
SupprimerQue d'éloges sur ce roman ! Il va vraiment l'air incontournable, je ne vais pas pouvoir faire l'impasse.
RépondreSupprimerC'est un univers particulier, que l'autrice nous rend pourtant très proche, presque familier... je serais curieuse d'avoir ton avis, tiens !
Supprimerje les note tous car je n'ai encore rien lu de l'auteure :-)
RépondreSupprimerBonne idée ! Celui-ci est bien pour commencer...
Supprimeret j'ai posté un commentaire sur ton billet d'aujourd'hui, mais je vois qu'il n'est pas apparu... peux-tu voir s'il est dans tes "indésirables" ?
Je reste sur un souvenir mitigé (enfin, sympa sans plus de révélations que ça) de Sur les ossements des morts, du coup j'avoue que ça ne me motive pas trop à poursuivre avec cette auteure (devant la myriade d'autres tentations).
RépondreSupprimerJ'avais aimé "Sur les ossements.." mais celui-là le surpasse, à mon avis, bien qu'il ait été écrit avant.
SupprimerJe ne peux rester insensible à un tel élan envers ce livre. Très beau billet ! (Patrice)
RépondreSupprimerOh oui ce mois de l'est commence fort pour moi, un vrai coup de cœur, à lire absolument !
SupprimerJ'avais repéré sur les ossements des morts. Je note celui-là aussi :-)
RépondreSupprimerJ'avais aimé Sur les ossements des morts, mais j'ai préféré celui-là...
SupprimerVous ne nous laissez vraiment pas le choix en fait ! Je suis ravie d'avoir lu cet auteur grâce au mois de l'Europe de l'Est et avec vos billets sur celui-ci je sais quelle sera ma prochaine lecture d'Olga Tokarczuk.
RépondreSupprimerOn ne vous laisse pas le choix, mais nous ne voulons que votre bien ! Un grand moment de plaisir en perspective..
SupprimerUne auteure qu'il faut que je découvre. Avec ce titre, alors.
RépondreSupprimerOui, c'est une très bonne idée, il se lit facilement, grâce à ses courts chapitres, tout en étant passionnant..
SupprimerOh alors il faut vraiment que je récidive avec cette autrice ! Si en plus il est meilleur que Sur les ossements...
RépondreSupprimer(Je me trompe peut-être mais ce que tu dis de ce livre me fait un peu penser au Livre des nuits de Sylvie Germain (si tu l’as lu)...)
Non, je n'ai pas lu le titre de S. Germain, mais tu me tentes !
SupprimerEnchanteur, au sens d'enchantement presque magique, je ne peux que te rejoindre !
RépondreSupprimerLe livre de S. Germain est très bien aussi, mais sur un registre plus intimiste, il n'a pas cette ampleur de fresque historique de Dieu, le temps, les hommes et les anges, même si ce n'est pas une fresque historique mais plutôt une temporalité décalée.
Oh, mais j'avais oublié de répondre à ton commentaire ! Je note le roman de S. Germain d'autant plus que tu confirmes qu'il vaut le détour..
SupprimerDu coup je le note celui-ci .
RépondreSupprimerOui, celui-là, il ne faut pas le laisser passer..
SupprimerC'est toi qui m'as fait découvrir cette auteure avec Sur les ossements. Et j'ai celui-ci dans ma PAL. C'est une écrivaine que je vais continuer à lire; j'ai vraiment accroché !
RépondreSupprimerJ'en suis ravie, et tu verras, celui-là est encore meilleur (à mon avis, en tous cas...). Et pour toi qui aimes les textes riches, Les livres de Jakob est à noter aussi..
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