"Les brumes du passé" - Leonardo Padura
"La conviction que le monde pouvait être un champ de bataille mais qu'une bibliothèque était un terrain inviolablement neutre et collectif s'était enraciné dans son esprit comme un des apports les plus beaux de sa vie."
Cela fait dix ans que ce dernier a quitté la police pour se consacrer à une activité plus en adéquation avec son éthique et ses affinités : l’achat et la revente de livres anciens. Mais en ce torride mois de septembre, c’est justement cette activité qui va le remettre sur les rails du travail d’investigation.
Cuba est en proie à l’une de ses crises incessamment renouvelées, peut-être l’une des pires. La pénurie fait de l’obtention de la moindre allumette, aspirine ou paire de chaussures une véritable gageure, l’espoir est devenu une denrée rare, la lutte pour la subsistance atrophie la sensibilité des cubains. Affamés, ils vendraient n’importe quoi pour tenir jusqu’au prochain repas, y compris les livres de leurs plus belles bibliothèques…
C’est ainsi que Conde trouve, dans une de ces élégantes mais décrépites demeures créoles qui font de La Havane "une ville aussi pleine de splendeur et d’allégresse que de mort et d’épouvante", le rêve du bibliophile : un trésor constitué d’ouvrages aussi rares que nombreux, et une bibliothèque qui, dès qu’il en franchit le seuil, fait naître l’une de ces vagues mais intenses prémonitions qui firent de lui un flic hors du commun.
Il n’est guère difficile de convaincre les Ferrero, duo formé d’un frère et d’une sœur vieillissants veillant sur une mère sénile et invisible, de conclure une vente susceptible de calmer leur faim (ainsi que celle de notre bouquiniste et de ses proches) pendant un bon bout de temps.
La découverte par Conde, dans l’un des ouvrages, d’un vieil article de journal à propos d’une chanteuse au regard extraordinaire qui d’emblée le fascine, puis l’assassinat de Dionisio Ferrero, le lancent dans une quête à la fois nostalgique et dangereuse, secondé par un jeune confrère qui oppose à son romantisme désuet une impitoyable vision mercantile.
Une quête qui lui fait remonter le temps -et nous avec- vers La Havane des années 50, dans le décor haut en couleur de ses nuits troubles, lorsqu’elle était la ville de la musique, de l’alcool à tous les coins de rue et à toute heure, des cabarets et night-clubs où la voix rauque des chanteuses de feeling et de boléros envoûtait les noctambules.
Le roman est ainsi traversé par l’obstination à la nostalgie de ses héros pour un passé certes sévère et rempli de limitations mais aussi porté par l’émulation socialiste et égayé par une atmosphère de jouissance. Nostalgie qui se heurte brutalement au constat d’un présent désespéré et sordide, dont la plus terrible représentation est celle de ses quartiers misérables et comme ravagés par la guerre où son enquête mène Conde qui y croise, entre deux hordes de chiens errants, une faune désœuvrée et prête à tout, évoluant dans un décor de fondrières et de gravats, d’édifices en équilibre précaire, de bidons débordant d’immondices.
J’ai eu au départ un peu de mal à entrer dans ce roman, tiquant face à l’écriture bavarde, à la profusion de certains détails descriptifs à mon avis inutiles et alourdissant le propos. Puis je me suis laissé emporter par cette (en)quête à la tonalité mélancolique, et par la sympathie suscitée par le personnage loyal et généreux de Conde, suffisamment en tous cas pour ne plus remarquer ces "faiblesses" stylistiques.
Toujours un auteur à découvrir pour moi ; si j'y arrive, il faudrait plutôt que je commence par ses premiers.
RépondreSupprimerSi tu veux découvrir la série des Conde, oui c'est sans doute mieux. Il a sinon écrit d'excellents romans en parallèle, que tu peux lire dans n'importe quel ordre.
SupprimerPas lu ce roman mais je connais bien ( ?) l’écrivain et s’il n’est pas faut d’y trouver des défauts, difficile de ne pas apprécier Conde et sa petite bande, donc Padura reste une bonne référence.
RépondreSupprimerJe n'avais pas trouvé ces "défauts" dans "L'homme qui aimait les chiens" (qui est génial) ou "Le palmier et l'étoile" (très bon)... Mais je te rejoins : ce qui fait l'intérêt de ce titre, c'est en grande partie sa galerie de personnages. Ce Conde et ses acolytes sont éminemment sympathiques !
SupprimerJe l'ai lu l'année dernière, en espagnol, et j'avais bien aimé. Il y avait des passages un peu redondants (sur la nostalgie, sur le passé), mais j'ai bien aimé la juxtaposition entre les différentes époques et les différents portraits des personnages.
RépondreSupprimerJ'ai personnellement beaucoup apprécié ces navigations "temporelles" entre passé et présent, et la nostalgie qu'exprime les héros, cela donne au récit une dimension romantique et mélancolique à la fois..
SupprimerL'un de mes préférés de la série des Mario Conde, pour son atmosphère nostalgique, pour la musique. ( j'ai retrouvé cette atmosphère dans un roman argentin sur un chanteur de tango dissident : " Le chanteur de tango " de Tomas Eloy Martinez, je recommande :))
RépondreSupprimerDans ce cas je note, j'ai comme toi beaucoup aimé l'évocation de ce passé baigné de musique et de pérégrinations nocturnes...
SupprimerPas trop ma tasse de thé , j'espère que le mois Latino-américain va bientôt se finir pour que m'emporter vers d'autres horizon.
RépondreSupprimerOh dommage, cette littérature compte de nombreux trésors... en ce qui me concerne, plus que huit jours de lectures latinos et après je passe en Europe de l'est pour tout mars !
SupprimerÀ date je n'ai toujours qu'une expérience de lecture (qui commence à se faire lointaine) avec Padura (Le palmier et l'étoile, très bon souvenir). Il faudrait que je tente aussi sa série "Conde".
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé aussi "Le palmier et l'étoile", titre avec lequel j'ai découvert l'auteur. Et j'ai adoré "L'homme qui aimait les chiens", à lire, vraiment !
SupprimerIl faut absolument que je découvre cet auteur... Je dis ça à chaque fois que je vois un billet sur lui :-(
RépondreSupprimerIl m'en reste aussi quelques-uns à lire, il a une bibliographie bien fournie. Le prochain sera "La transparence du temps", qui est sur mes étagères.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce roman, comme tout ceux avec Mario Conde, et c'est plutôt avec d'autres plus récents que j'ai eu du mal avec le style et les nombreux détails redondants... (La transparence du temps ou Retour à Ithaque)
RépondreSupprimerAh, j'ai déjà acheté "La transparence du temps"... on verra bien !
SupprimerAhh... Celui-là, j'ai failli le sortir pour l'occasion aussi... Ca sera pour un peu plus tard...
RépondreSupprimerTu peux aussi le garder pour l'année prochaine, je pense que le mois latino reviendra...
SupprimerC'est avec ce titre que j'ai découvert padura et Condé, et j'étais cuite, j'en ai lu ..... Presque tout!
RépondreSupprimerEt il y en a qui t'ont particulièrement marqués ?
SupprimerCeux avec Conde, ou alors L’homme qui aimait les chiens (ne t’affole pas s('il y a Trotsky)
SupprimerJe l'ai lu, et adoré !
Supprimernoté pour février 2023 !!! j'ai beaucoup aimé "Poussières dans le vent" mais il me reste à découvrir "L'homme qui aimait les chiens" et Hérétiques"
RépondreSupprimerTu m'incites donc à renouveler l'an prochain ? Pourquoi pas, il me reste encore des titres à lire, et cette année encore, nombreux sont ceux qui ont répondu "présent" !
Supprimerj'ao mi récemment "Poussière dans le vent" que j'ai beaucoup apprécié "Hérétiques" et l'Homme qui amait les chiens. Pour la série avec Condé je ne crois pas avoir lu celui que tu chroniques, au hasard de mes promenades à la médiathèque j'y penserai
RépondreSupprimerJe crois que je l'avais récupéré "par hasard" aussi, lors d'un déstockage de médiathèque.. J'ai préféré pour l'instant les deux titres "hors Conde", mais cette lecture a tout de même dans l'ensemble été très plaisante.
SupprimerJe passe mon chemin. J'ai lu la moitié (320 pages sur 640!) de Poussière dans le vent et malgré mon intérêt pour le sujet et les personnages, l'écriture sans envol est venue à bout de mon intérêt.
RépondreSupprimerAh zut, j'avais lu pas mal d'avis enthousiastes à son sujet.
SupprimerJe suis étonnée, et d'avoir eu un peu de mal au départ avec l'écriture de ce titre, et de lire des avis mitigés sur son style à propos d'autres romans, parce que je n'ai éprouvé aucun bémol de ce genre à la lecture de "Le palmier et l’étoile" et de "L’homme qui aimait les chiens"..
C'est un auteur que j'ai prévu de découvrir un jour avec ce livre, même si tes petites réserves me font douter.
RépondreSupprimerJe suis à la traîne pour le Mois latino, j'ai une autrice brésilienne en cours, mais elle demande une concentration dont je ne dispose pas en ce moment. Je vais essayer de tenir les délais quand même.
Tu peux le découvrir avec un titre ne faisant pas partie de la "série Conde" : "L'homme qui aimait les chiens" avait été un coup de cœur !
SupprimerMais comment se fait-il que je trouve Mario Conde chez toi, alors qu'il est actuellement chez moi et attend que j'écrive mon billet sur Adios Hemingway?
RépondreSupprimerIl aurait le don d'ubiquité ?
SupprimerJ'attends ton billet avec impatience !
Je l'avais beaucoup apprécié, celui là.
RépondreSupprimerC'est vrai qu'il est très plaisant, j'en ai beaucoup aimé l'atmosphère nostalgique.
Supprimerqu'est-ce que j'avais aimé ce livre ! Bon, le lire à Cuba devait grandement y contribuer :)
RépondreSupprimerC'est sûr, et je t'envie de l'avoir lu "in situ" !
SupprimerRebonjour Ingannmic, j'ai adoré ce roman qui m'a permis de lire mon premier Padura. Depuis, j'en ai lu d'autres.
RépondreSupprimerJe reviendrai moi aussi vers cet auteur, c'est sûr, mais peut-être plutôt avec ses titres "hors Conde", quoique... j'ai bien aimé le personnage et sa bande de copains!
SupprimerJe l'ai lu , j'ai été sensible au ton mélancolique, au désenchantement, à l'amitié et à l'amour des livres.
RépondreSupprimerTous les points que tu soulèves sont ceux qui m'ont plu aussi, et ils m'ont vite fait oublier mes réticences liées au style..
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