"Leur domaine" - Jo Nesbø
"Les affres du choix, vous savez ce que c’est ? C’est quand ce qui étouffe n’est pas le choix en soi, mais le fait de choisir."
C’est là que vit Roy Opgard, dans la ferme familiale qui surplombe le village d’Os, en vue du virage des Chèvres dont la courbe fut, quelques années auparavant, fatale à ses parents. La Cadillac DeVille dans laquelle ils trouvèrent la mort git toujours au fond du gouffre qui la borde.
Roy avait alors dix-huit ans, son frère Carl dix-sept. Il gère à présent la station-service du village, rêvant de posséder la sienne. Quant à Carl, après quinze ans d’absence pendant lesquels il a étudié aux Etats-Unis puis travaillé au Canada, il revient auréolé de ses succès, avec à son bras une jeune et belle épouse originaire de la Barbade, et en tête un projet pharaonique, celui de construire un hôtel avec spa dans la bourgade, apportant ainsi l’espoir d’un renouveau économique à la petite communauté d’Os, dont la survie à long terme est menacée par son isolement et la désertion de ses citoyens les plus talentueux.
C’est un peu le retour de la star du village : beau gosse charmeur et jovial, Carl était la coqueluche de toutes les filles, et la bête noire de leurs petits amis, ce qui a valu à Roy, qui a toujours protégé envers et contre tout son petit frère, une réputation de boxeur redoutable.
L’aîné des Opgard, qui préfère la compagnie des oiseaux à celle de ses congénères, est un homme plutôt bourru, qui en impose par son sang-froid, ses proches appréciant en revanche sa fiabilité et son humour percutant.
Il est par ailleurs le narrateur du récit, auquel il confère une dimension trouble.
Et c’est d’emblée que le lecteur comprend que quelque chose cloche, des sous-entendus récurrents laissant soupçonner quelque secrète abomination tapie dans l’histoire familiale des frères Opgard, à l’origine de l’insondable honte et de la culpabilité qui hantent Roy. Le représentant de l’ordre -ici, ça s’appelle un lensmann- Kurt Olsen subodore lui aussi qu’ils sont liés à des événements pas très nets, ce qui l’incite à fureter avec insistance du côté de la ferme.
Les apparences presque caricaturales dont Jo Nesbø affuble au départ certains de ses personnages sont peu à peu démenties par la révélation de leur ambivalence et de leur face obscure. Entre secrets de famille sordides, rancunes et désirs de vengeance, l’intrigue se déroule dans une sorte de langueur délétère, d’ambiance pesante où s’installe une ambiguïté morale dérangeante.
Le lecteur est à la fois englué dans une sombre torpeur, et glacé par la survenance régulière d’une violence perpétrée à répétition et en toute impunité. Ce n’est pas toujours très bien dosé -il y a notamment un peu trop de véhicules qui tombent dans le précipice du virage des Chèvres-, au risque d’amoindrir la crédibilité de l’intrigue. Le roman vaut surtout pour l’atmosphère poisseuse que crée le long monologue de Roy, et pour la précision avec laquelle l’auteur décortique les mécanismes des relations toxiques mais indestructibles qu’entretiennent ses héros.
Ah oui, j'en ai lu, de cet auteur, abandonné après pas mal de lectures palpitantes; bien noir, parfois des détails difficiles... Il n'y a plus son enquêteur habituel la dedans?
RépondreSupprimerOui, c'est noir, Nesbo... et c'est sans doute pour ça que je l'aime tant ! Son inspecteur est en effet absent de ce titre, ainsi que de ceux qu'il a sortis dernièrement.
SupprimerUn Jo Nesbo sans Harry Hole, ça me tente un peu moins... mais tu me rappelles que j'en relirais bien un, je n'ai rien lu depuis La soif.
RépondreSupprimerJe suis comme toi, j'ai une affection particulière pour Harry Hole, et mon unique expérience avec un titre sans lui s'était soldé par une déception cuisante (Les chasseurs de tête, à ne pas lire...). mais là, c'est plutôt réussi malgré quelques longueurs et redondances de l'intrigue.
SupprimerAprès La soif, il y a Le couteau, qui met en scène son célèbre inspecteur, mais je ne l'ai pas encore lu non plus (bien qu'à ma connaissance, il soit sorti en poche).
Il en a écrit d'autres plus courts, sans Hole, sinon, qui ont reçu un bon accueil, à voir.
J'avais bien aimé Soleil de nuit, sans Harry Hole...
SupprimerJe le note donc.
SupprimerJ'ai lu deux titres de cet auteur et j'ai laissé tomber. Je le trouvais trop sombre.
RépondreSupprimerDans ce cas, je ne chercherai pas à te convaincre de renouer avec l'auteur, car ses titres sont toujours sombres...
SupprimerJ'ai lu (et apprécié) deux romans de Jo Nesbø mais, comme Aifelle et Keisha, je les trouve vraiment très noirs. Sinon bien joué pour le quadruple challenge !
RépondreSupprimerJe suis personnellement fan de la série Hole, que je suis depuis le début, notamment pour sa noirceur, justement...
Supprimerle fait de changer de héros ça me plait bien donc j'ai noté ce titre et puis la Norvège ça me fait toujours rêver ou plutôt là cauchemarder
RépondreSupprimerOui, c'est ici une Norvège qui tire plus du côté d'une ruralité à la Bouysse, par exemple...
SupprimerJ'ai lu pas mal de ses romans avec le même policier Harry Hole et j'ai abandonné après soif, je crois...
RépondreSupprimerLa soif est l'avant-dernier opus de la série Hole, on ne peut donc pas parler vraiment d'abandon... je n'ai d'ailleurs pas encore lu le suivant, moi non plus..
SupprimerBonjour Inganmic
RépondreSupprimerJe n'ai jamais rien lu de Jo Nesbo, contrairement à dasola qui en compte six dans son "Index des livres" (dont 5 de ceux que tu cites!). Le thème de la fratrie pourrait me parler. Cela me fait d'ailleurs repenser à Deux cavaliers de l'orage, de sono, livre que j'ai lu et relu mais auquel je n'avais pas songé spontanément pour ta "lecture commune". Du coup, je me dis que, sur la durée d'une semaine début octobre, j'arriverai peut-être à rédiger deux billets "Giono", merci pour l'idée... Et bravo à toi pour cette troisième participation aux challenges sur les "gros livres estivaux" ;-)
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Re-bonjour !
SupprimerPour aimer Nesbo, il faut apprécier le noir, ses romans sont sombres et désespérés, la série Hole (lue en partie par Dasola, donc, dont je vais aller lire les billets) mettant en scène les facettes les moins reluisantes de la société norvégienne...
Et si tu peux lire deux Giono, encore mieux !! merci pour ton enthousiasme..
Tu es une inconditionnelle de Nesbo à ce que je vois. J'ai lu les deux premiers tomes de sa série avec Harry Hole il y a des années mais plus rien depuis...
RépondreSupprimerDe Nesbo, mais aussi de son personnage Harry Hole, que je suis fidèlement depuis ses débuts. Les deux premiers volumes de la série ne sont pas les meilleurs. On peut lire me semble-t-il les épisodes de la "série" de manière indépendante, Rouge-gorge est très bon, mais aussi Le bonhomme de neige, ainsi que Fantôme ou Police... (en fait tous sont bons !).
SupprimerJe m'étais justement arrêtée au T2 car je n'avais pas été convaincue. Mais si tu me dis que les deux premiers ne sont pas les meilleurs je continuerai peut-être, d'autant plus qu'il me semble avoir Rouge-gorge dans ma pal.
SupprimerUn auteur que j'ai pas encore lu,, il ne me tente pas trop et je ne sais aussi par lequel commencer pour le découvrir... j'ai un de mal avec les polars qui sont un peu "lent".
RépondreSupprimerMerci pour ta participation !
Je te souhaite un bon dimanche !
Si tu souhaites le découvrir tout de même tu peux le faire avec l'un de ses derniers romans, plus courts, et "hors série Hole". Il y a Soleil de nuit, qu'a apprécié Kathel, et qui compte moins de 300 pages.
SupprimerEt bon dimanche à toi aussi !
SupprimerBonjour Ingannmic, je l'ai presque terminé et j'avoue que je suis admirative par la progression du récit avec une histoire où les morts s'accumulent de manière presque naturelle. On n'arrive pas à condamner Roy. Bonne journée.
RépondreSupprimerBonjour Dasola, c'est un des points forts du livre, d'ailleurs, que cette espèce de légitimation tacite aux actes de Roy.. c'est juste qu'à un moment, j'ai trouvé que les éliminations devenaient un peu trop systématiques..
SupprimerBonne journée à toi aussi.
J'ai beaucoup aimé ce roman dont tu parles très bien, en particulier de cette atmosphère où s'englue le lecteur. Le nombre de voitures qui tombent dans le précipice ne m'a pas gênée. Au contraire, je trouve que cela donne au gouffre une portée symbolique, il devient une sorte de monstre qui dévore ses proies à l'image des deux frères qui ne peuvent plus arrêter l'engrenage fatal dans lequel ils sont tombés.
RépondreSupprimerJ'ai personnellement trouvé que ça advenait une solution un peu trop facile, mais on peut le voir comme ça, c'est vrai... ceci dit, j'ai sinon bien apprécié cette lecture, qui m'a "réconciliée" avec les romans de Nesbo hors harry Hole. Ma précédente -et unique- expérience précédente avait été peu concluante (et c'est un euphémisme ! j'avais lu Chasseurs de tête et j'ai ... détesté !)..
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