"Flush : une biographie" - Virginia Woolf

"Il est naturel qu'un chien toujours couché avec la tête sur un lexique grec en vienne à détester d'aboyer ou de mordre; qu'il finisse par préférer le silence du chat à l'exubérance de ses congénères et la sympathie humaine à toute autre."

"Flush", ainsi que le précise son sous-titre, est la biographie d’un chien. Mais pas n’importe quel chien. En effet, Flush est un épagneul cocker, race considérée depuis des siècles comme éminemment noble, dont les représentants "avaient leur place aux côtés du roi". Il voit le jour vers 1842, au sein d’une famille bourgeoise désargentée établie à la campagne, ce qui lui permet de profiter, au cours de ses premiers mois, du grand air et d’une belle liberté de mouvement. Un changement radical de mode de vie survient avec son adoption, à Londres, par Miss Barrett, jeune femme qu’une mystérieuse maladie -probablement d’ordre psychologique- paralyse. Elle passe ainsi la majeure partie de son temps confinée dans sa chambre, sort que va partager Flush qui, hormis les brèves sorties quotidiennes en compagnie de la femme de chambre, doit refouler ses instincts en occupant le sofa posé aux pieds de sa nouvelle maîtresse.

Il y reçoit une éducation urbaine et "civilisatrice", faisant notamment l’apprentissage de la laisse, ou intégrant la stricte hiérarchie sociale des chiens londoniens. Sacrifiant -mais il n’a pas vraiment le choix- au profit de sa maîtresse le soleil, l’air et son courage, il devient un chien d’intérieur. En même temps, un lien très fort se tisse peu à peu avec Miss Barrett, un "compagnonnage de plus en plus profond", au gré de l’instauration de rituels affectueux, qui cimentent sa fidélité. Ce bonheur est bientôt troublé par l’arrivée régulières de lettres qui mettent Miss Barrett en émoi, et la détourne de Flush, envers lequel elle se montre moins attentive.

Ce n’est que le début d’une longue existence au cours de laquelle Flush connaîtra de sombres mésaventures et de grandes joies, partira vivre en Italie où, renouant avec la vie en plein, air il jouira d’une seconde jeunesse, et découvrira une communauté canine bien plus démocratique que celle de son pays d’origine.

Si Virginia Woolf a pris le parti d’une narration à la troisième personne qui assoit la crédibilité du récit, elle traite son héros comme un personnage à part entière, avec une personnalité complexe, détaillant ses réflexions comme ses émotions, ainsi que la manière dont ses expériences et ses rencontres le font évoluer. Les odeurs occupent bien sûr une place prédominante dans sa perception du monde, ainsi qu’une hypersensibilité aux ambiances et aux humeurs qui font de Flush un fin psychologue, à l’inverse des humains qu’il côtoie, dont le manque d’intuition l’épouvante, et c’est prétexte, de la part de l’auteure, à un humour aux accents facétieux. 

C‘est une vie de chien dans toute sa dimension domestique, marquée par la force et l’exclusivité du lien qui attache l'animal à son maître, mais aussi par la solitude que peut induire cette dépendance, cette proximité avec l’humanité ayant profondément modelé la caractère et le comportement canins. Inévitablement, il y est donc aussi question d’humains. A travers la biographie de Flush, Virginia Woolf évoque celle de sa maîtresse, la poétesse Elizabeth Barrett Browning, qui dût se libérer des carcans d’une société victorienne caractérisée par sa rigidité sociale et sa tyrannie patriarcale, et fuir une vie citadine sclérosante qui aurait sans doute fini par lui être fatale…

L’écriture, très élégante mais pour le coup sans rigidité, colle ainsi au contexte du récit comme au propos de l’auteure, qui fait ici le choix d'une narration étonnamment linéaire, et je dois bien avouer que ses habituelles circonvolutions m'ont un peu manqué... J’ai néanmoins pris plaisir à la lecture de ce court texte, notamment pour la manière dont y cohabitent consistance et malice. Virginia Woolf elle-même explique en préface qu’elle l'a écrit pour se reposer de la charge d’émotion procurée par l’écriture de "Les vagues". Je suis donc ravie d’avoir lu ces deux romans à la suite !

Commentaires

  1. Un bon roman "le récit est plaisant à lire grâce à l’idée lumineuse de l’écrivaine, raconter par le prisme de la vison d’un chien. Ca nous vaut beaucoup d’humour, sans pour autant cacher des points beaucoup plus sérieux...."

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  2. Pas de souci, déjà noté (mais en réserve à la bibli...)

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  3. Comme j'ai pratiquement tout à lire de Virginia Woolf, je note de commencer par Les vagues puis cet opus. (mais je suis plus attirée par Flush car je crains les circonvolutions que tu aimes tant).

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    1. C'est certain Flush est beaucoup plus facile à lire....

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    2. Je ne sais pas si commencer par Les Vagues est une bonne idée.. d'ailleurs, dans son billet, récent, sur ce titre, le Bouquineur le déconseille ! Je crois que Mrs Dalloway est pas mal, pour découvrir l'auteure...

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  4. Moi aussi j'attends les phrases, avec ses flux habituels, et là ... que nenni. Passé cette petite déception, j'ai bien apprécié ce texte charmant.

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    1. Il reste en effet très plaisant, même si c'est pour son style habituellement plus tortueux qu'on apprécie en grande partie l'auteure.

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  5. Bravo pour ce triplet et cette découverte intéressante. Depuis le temps que je veux replonger dans les écrits de Virginia Woolf, je pourrai peut-être me décider avec de texte court...

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    1. IL est facile à lire, alors oui, pour entamer une re-découverte de l'auteur en douceur, il est tout à fait approprié..

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  6. Lire ton billet me remet cette très chouette lecture en tête, et me donne le sourire aux lèvres en pensant aux observations si fines de Flush sur le genre humain. Un vrai bonbon mais qui parle bien de l'aliénation féminine.

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    1. J'ai apprécié l'aspect malicieux que donne au texte les observations de Flush sur ces balourds d'être humains... mais cela n'empêche pas, comme le souligne Le Bouquineur, que l'auteure y aborde des sujets tout à fait sérieux, c'est vrai.

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  7. Nous avons eu la même lecture pour le challenge "Les classiques c'est fantastique". J'ai beaucoup aimé cette nouvelle où on retrouve tout l'humour de Virginia Woolf. Un très beau moment de lecture pour ma part.

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    1. Je n'ai pas accès à ton blog (rien à voir avec toi, il s'agit là d'un blocage de mon organisation professionnelle -j'utilise mon PC pro à titre perso- sur certains sites, qui survient de manière aléatoire...), du coup je ne peux malheureusement pas lire ton billet...

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  8. Je risque d'avoir un peu de retard pour mon billet. Grippe depuis hier. Je lirai aussi le tien lorsque la fièvre sera retombée. Pour l'instant, tisane et bouillotte!🤧

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    1. Pas de souci, j'attends !! Soigne-toi bien, la grippe est virulente cette année, paraît-il...

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  9. Ah, un court texte ! Voici une motivation supplémentaire pour découvrir ce texte sans trop d'appréhension !

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    1. Exactement, il est court et il se lit surtout très facilement, alors que le style qu'elle déploie dans ses autres romans en rend la lecture parfois un peu laborieuse (mais malgré tout délicieuse)..

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  10. je n'ai lu que des nouvelles d'elle et j'ai été très déçue mais je suis trop curieuse pour Flush (je veux le lire en anglais mais je repousse l'achat LOL) car je trouve ce choix narratif excellent (et je pense à mon chien)

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    1. Déçue par Woolf ? C'est possible, ça ?! (je plaisante...). En tous cas, elle réussit très bien, ici, à nous intéresser à la vie et aux réflexions de ce chien, tout en critiquant mine de rien le rigorisme et l'iniquité de la société victorienne.

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  11. Je ne connaissais pas ce titre de Woolf. Je note donc... D'autant que vous êtes plusieurs à l'évoquer aujourd'hui.

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    1. Ayant décidé de lire Woolf dans le cadre de "l'auteur chouchou" organisé par Géraldine, j'ai un peu fouillé dans sa bibliographie, et ce titre était parfait pour le thème de janvier des Classiques ! Il permet une incursion "facile" dans l'œuvre de l'auteure..

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  12. Bonjour Ingrid, j'ai lu «Flush» il y a bien longtemps. Je voulais le relire pour le défi mais je ne l'avais pas. Alors, j'ai relu un autre titre pour le défi. Merci de m'avoir rappelé ce bon Flush !

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    1. Cela aura permis une plus grande diversité dans les propositions, c'était une belle idée que de relire la Comtesse de Ségur !

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  13. Je n'ai lu que Mrs Dalloway il y a bien longtemps ; j'ignorais qu'elle s'était mise dans la peau d'un chien ! il a l'air réjouissant ce petit livre et 2 euros franchement ...

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  14. Un livre de Virginia Woolf que je ne connais pas et il n'est pas le seul ! Il va falloir que je m'y remette à commencer par celui-ci !

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    1. C'est en effet un bon titre pour se (re)plonger dans l'œuvre de l'auteure.

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  15. Je l'aime beaucoup, ce roman là de Virginia Woolf. Quelle auteure...

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    1. Oui, plus je la découvre et plus je l'admire et l'apprécie ...

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  16. L'ourse bibliophile28 janvier 2025 à 18:55

    Les circonvolutions de Woolf me font un peu peur donc ça pourrait être une piste pour la lire tout en allant vers quelque chose de moins intimidant. Merci pour ton article !

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    1. Exactement, ce Flush est un peu l'équivalent de Lumière d'août pour Faulkner !

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  17. Ah mais comment ai-je pu oublier ce livre de Woolf ?! Je l'avais repéré sur la blogo l'année dernière il me semble (peut-être pour le mois des nouvelles) et je me suis dit que ça pourrait être le livre qui me réconcilierait avec son autrice. Bon, j'ai raté le coche, mais je me le renote pour plus tard.

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  18. Le point de vue d'un chat m'aurait motivée davantage ^-^

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    1. Pour ça, tu as les écrivains japonais (mais je sais que tu n'as pas plus d'appétence que ça pour cette contrée littéraire) ! Je préfère moi aussi les chats, mais je me suis prise de sympathie pour cet épagneul fort sensible !

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  19. je sais que je dois retrouver cette grande écrivaine mais ce titre là m'attire moins que les autres, à cause du point de vue du chien.

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    1. Je comprends tes réticences, je ne suis moi-même pas très attirée par ce genre de narration, mais j'ai trouvé qu'ici, c'était fait de manière habile, et on s'intéresse facilement aux (més)aventures de Flush. Et puis tu parles de la "retrouver", j'imagine donc que tu t'es déjà frottée à son style et que tu l'as apprécié. Du coup, tu peux sans doute faire l'impasse sur celui-là, différent de ce à quoi elle a habitué ses lecteurs.

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  20. Contente que ce challenge contribue à faire découvrir ce titre que j'ai beaucoup aimé. Bizarrement méconnu en France alors qu'il fut une des meilleures ventes de Virginia à l'époque en Angleterre. D'une finesse exquise.

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    1. Je comprends qu'il ait trouvé un large public en Angleterre (et c'est en effet étonnant que cela n'ait pas été le cas chez nous), il a sans doute été aidé en cela par sa linéarité, qui le rend plus accessible que d'autres de ses titres. Il n'en reste pas moins un texte habile et intelligent (c'est Woolf, quand même !)...

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  21. Ma seule expérience avec l'autrice ne s'est pas très bien passée mais ce texte devrait me plaire appréciant cette idée d'une biographie d'un chien, surtout si le ton ne manque pas de facétie.

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    1. Oui, et je ne sais pas ce qui a "bloqué" avec ta première expérience, mais si c'est le style tortueux, sache que tu ne le retrouveras pas dans ce titre.

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  22. Toujours bien grippé et tisane à la main, mais j'ai trouvé un petit sursaut pour rédiger mon billet et passer lire le tien. Je vois que tu as bien aimé ce roman toi aussi. Curieux texte dans la biographie de Virginia Woolf, plus classique dans la langue, d'un certain point de vue. Mais un petit bijou d'ironie.

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    1. Pour quelqu'un de diminué, tu as rédigé un billet très consistant et pertinent ! J'ai beaucoup apprécié moi aussi la découverte de cette facette inhabituelle de l'auteure...

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